Des rêves plein la tête

arriver à soir, on va
mettre notre vieille glacière dans le hangar et le frigidaire va prendre sa
place. On va au moins sauver l'argent de la glace qu'on devait acheter tous les
deux jours.
     
    — Christ,
attention ! cria soudain quelqu'un dans la cage d'escalier.
     
    Les trois femmes
sursautèrent. Le cri fut immédiatement suivi par un bruit fracassant et une
plainte déchirante.
     
    — Mon Dieu, mon
frigidaire ! s'écria Emma Gravel en se précipitant vers la porte ouverte
donnant sur la cage d'escalier.
     
    Catherine et
Laurette s'empressèrent de la suivre et découvrirent, en même temps qu'elle, le
réfrigérateur au pied de l'escalier sous lequel la jambe de l'un des livreurs
était coincée. L'homme semblait avoir perdu connaissance.
     
    — Il m'a glissé
des mains, le bâtard ! hurla l'autre livreur, tout énervé, en dévalant
l'escalier. J'ai pas pu le retenir !
     
    — Des plans pour
le tuer ! s'exclama Laurette. Il faut le sortir de là.
     
    — Ça pèse une
tonne, cette cochonnerie-là; protesta l'homme en cherchant à contourner
l'appareil qui obstruait le bas de l'escalier.
     
    — Bout de viarge
! Vous êtes pas assez fin pour voir que vous pourrez jamais passer là ? s'écria
Laurette. Vous êtes pas pour monter sur le frigidaire, sa jambe est poignée en
dessous. Remontez, passez à travers la maison et faites le tour par la cour.
Moi, je reste en bas. Passez à travers mon logement en bas. C'est pas barré.
Grouillez-vous.
     
    L'homme remonta
l'escalier le plus vite qu'il put. Pendant ce temps, Laurette repoussa les deux
femmes qui l'entouraient et s'approcha du réfrigérateur.
     
    — louchez pas à
ça, madame Morin, vous allez vous faire mal, lui conseilla Emma, tout énervée.
J'espère qu'il l'a pas tué, ajouta-t-elle en désignant l'homme affalé par
terre.
     
    — L'autre livreur
s'en vient, il va bien être capable de le soulever, ajouta Catherine, guère
plus calme.
     
    Au même moment,
le blessé reprit conscience et se mit à gémir.
     
    — Laissez-faire.
On n'a pas le temps de se mettre à attendre ce maudit sans-dessein-là, dit
sèchement Laurette.
     
    L'autre est en
train de crever en dessous. Je vais essayer de relever le frigidaire un peu.
Vous, madame Gravel, vous allez tirer sur le gars aussitôt que je vais vous le
dire.
     
    Les gémissements
du blessé se firent plus déchirants. Laurette s'arc-bouta et, rassemblant
toutes ses forces, parvint à soulever suffisamment le lourd appareil pour
qu'Emma, aidée de Catherine, parvienne à tirer le blessé un peu plus loin,
libérant ainsi sa jambe. Ce dernier émit une longue plainte et s'évanouit à
nouveau alors que Laurette laissait retomber le réfrigérateur.
     
    Au même moment,
le second livreur apparut derrière les femmes.
     
    — Laissez-moi
passer, leur ordonna-t-il.
     
    — C'est plus
nécessaire, dit Laurette, en sueur. J'ai levé le frigidaire et il est plus en
dessous. Votre gars est sans connaissance. Il a l'air d'avoir au moins la jambe
cassée. Vous êtes mieux d'aller à la grocery, au coin, pour appeler une
ambulance.
     
    Pendant ce temps,
quelques ménagères s'étaient rassemblées devant la porte ouverte et
commentaient à voix haute l'accident. Catherine quitta un bref instant les
lieux pour revenir avec un oreiller qu'elle glissa sous la tête du blessé.
     
    Quelques minutes
plus tard, une ambulance s'arrêta devant la maison. La petite foule agglutinée
sur le trottoir s'ouvrit pour laisser le passage aux deux ambulanciers qui
déposèrent l'homme sur une civière avec beaucoup de ménagements. Avant de
fermer la porte du véhicule, l'un d'eux dit à son compagnon qu'ils le
transportaient à l'hôpital Notre-Dame.
     
    Après le départ
du véhicule vert et noir, la petite foule se dispersa rapidement. Le livreur
n'avait toutefois pas l'air de trop savoir quelle conduite adopter. Il finit
par s'adresser à la propriétaire du réfrigérateur.
     
    — C'est ben de
valeur pour votre frigidaire, madame. Vlà le numéro de téléphone de mon boss.
Vous pouvez vous arranger avec lui s'il y a eu des dommages. De toute façon, il
va vouloir venir vous voir. Là, je peux pas faire grand-chose tout seul pour
l'enlever dans vos jambes. Vous pouvez même pas passer par votre escalier d'en
avant.
     
    — C'est correct,
fit Emma, compréhensive. Mon mari va s'en occuper en arrivant. Il trouvera ben
un ou deux voisins pour l'aider à le monter en haut.
     
    — Vous êtes ben
fine. Et