Des rêves plein la tête
l'école. Bien sûr, elle avait souvent du mal à boucler son budget et
l'argent était rare, mais tous mangeaient à leur faim. Elle se rendit compte
que sa vie était enviée par d'autres et cela la réconforta.
Il fallut plus
d'une heure à Rosaire pour se rendre à l'aéroport qui n'était, somme toute,
qu'un terrain vague clôturé traversé par une longue piste asphaltée au bout de
laquelle avait été érigé un petit immeuble peu impressionnant. Il stationna sa
Ford près du treillis métallique et invita ses passagers à descendre. Une
trentaine de véhicules étaient déjà sur place. Dans bien des cas, on aurait pu
croire que certaines familles participaient à un pique-nique
dominical parce
qu'on avait étendu des couvertures sur la bande gazonnée près de la clôture et
qu'on s'y était confortablement assis. Les gens attendaient patiemment le
prochain décollage ou atterrissage.
Lorsque l'obscurité
tomba, les spectateurs purent observer à loisir les faisceaux de puissants
projecteurs de la défense aérienne qui fouillaient le ciel noir de Montréal. La
famille Morin eut la chance d'assister à quelques décollages. Être aussi près
pour voir un appareil prendre de la vitesse sur la piste et s'élancer dans le
ciel plut énormément aux enfants. Richard et Gilles se mirent même à les
imiter, en courant et en zigzaguant, les bras levés de chaque côté du corps.
Vers neuf heures,
Laurette suggéra de rentrer pour coucher les enfants. Ces derniers, trop
surexcités par ce qu'ils venaient de voir, eurent du mal à trouver le sommeil
ce soir-là. A deux reprises, Laurette dut entrer dans la chambre que
partageaient Gilles et Richard pour les menacer d'une fessée s'ils ne cessaient
pas de parler.
À l'automne
pluvieux et déprimant succéda un hiver où le froid et la neige furent, encore
une fois, au rendez-vous. Chaque soir, pendant que Laurette voyait à ce que
Jean-Louis et Denise fassent leurs devoirs, son mari lisait La Presse, à
l'affût de toutes les nouvelles de la guerre en Europe et dans le Pacifique. La
création du Bloc populaire par Raymond et Laurendeau n'avait suscité aucun
enthousiasme chez ce partisan inconditionnel de l'Union nationale.
— C'est des
grandes gueules, ces gars-là, déclarait-il à sa femme indifférente. Il y a
juste Duplessis qui va être capable de remettre de l'ordre dans la province.
Attends les prochaines élections.
Dès que les
enfants étaient au lit, Laurette, fatiguée, exigeait que son mari trouve une
émission divertissante à écouter à la radio. Elle était une auditrice assidue
des émissions musicales et humoristiques. Rien ne lui plaisait autant que
Nazaire et Barnabé. Par ailleurs, les malheurs de la belle Donalda dans Les Belles
histoires des pays d'en haut continuaient de la bouleverser.
— L'écœurant!
s'exclamait-elle parfois en parlant de Séraphin Poudrier. Lui, si je lui
mettais la main dessus, il en mangerait toute une. \
Gérard était
souvent obligé de lui répéter qu'il ne s'agissait que d'une émission
radiophonique. Par ailleurs, plusieurs auditeurs se laissaient, eux aussi,
emporter par le réalisme de cette série. Hector Charland, l'interprète de
Séraphin, avait même reçu une sévère raclée dans un tramway de la rue
Sainte-Catherine, après avoir été reconnu par des passagers qui ne lui
pardonnaient pas de faire souffrir Donalda.
L'année 1944
sembla vouloir être aussi calme que la précédente. Même si la guerre se
poursuivait toujours, en Europe et dans le Pacifique, elle demeurait encore un
phénomène qui n'angoissait pas trop un bon nombre de Canadiens. Le premier
ministre King n'avait pas encore mis en vigueur la conscription obligatoire.
Elle avait été votée un an et demi auparavant, bien sûr, mais l'homme politique
n'avait montré aucun empressement à la mettre en application dans toute sa
rigueur. Cependant, les pressions des Alliés le contraignirent à passer aux
actes dès les premiers mois de l'année, ce qui déclencha une véritable crise
dans toute la province de Québec. Déjà, on parlait d'un nombre effarant de
déserteurs poursuivis un peu
partout par la
police militaire, autant dans les villes que dans les campagnes.
Lors de chaque
rencontre familiale, les hommes de la famille évitaient soigneusement d'aborder
le sujet tout en se rappelant à quel point ils avaient été chanceux d'échapper
à ce danger.
Un
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