Des rêves plein la tête
immédiatement.
Si
Chapitre 24
Les années
tranquilles
La tension
provoquée par la crainte d'être enrôlé au printemps de 1942 fut rapidement
oubliée autant par Gérard que par Armand. Dans la famille, on s'inquiéta alors
du sort de Bernard et de Rosaire, mais l'un et l'autre échappèrent à la
conscription. Si le premier évita l'uniforme grâce à ses pieds plats, l'autre
s'empressa d'adopter la solution de Gérard pour ne pas avoir à aller se battre.
Durant la belle
saison, on ressentit un peu plus durement le rationnement imposé par le
gouvernement, particulièrement celui du sucre et des tissus, mais l'ensemble de
la population n'osait pas trop se plaindre, surtout après avoir appris la
boucherie de soldats canadiens qui avait eu lieu au mois d'août, sur les plages
de Dieppe. En 1943, la vie des Morin se déroula sans perturbations notables.
Les enfants grandissaient et Laurette voyait à ce qu'ils ne manquent de rien.
Elle gérait le budget familial de son mieux tout en désespérant souvent de ne
pouvoir jamais parvenir à économiser le moindre sou. Certains jours, il lui
arrivait même de détester son mari qui s'en remettait toujours à elle pour
résoudre les problèmes financiers de la famille.
Comme chaque
année, avec l'arrivée de l'automne, la routine s'installa de nouveau dans
l'appartement de la rue Emmett, du moins jusqu'au soir où Rosaire arriva à
l'improviste, à l'heure du souper.
— T'es pas avec
Colombe ? demanda Laurette, qui s'attendait à voir entrer sa belle-sœur.
— Ben non. Elle
est partie jouer au bridge chez des amies. Ça fait que j'ai pensé à une
affaire. Est-ce que ça vous tente d'embarquer avec les enfants pour venir voir
l'aéroport qu'on a ouvert à Dorval l'automne passé? Il paraît que c'est pas mal
intéressant de voir arriver et partir des aéroplanes. Si on veut voir quelque
chose, il faut pas y aller trop tard, par exemple. ¦
Après une brève
hésitation, Laurette et Gérard acceptèrent à la plus grande joie des enfants.
Les Morin
s'entassèrent dans la Ford 1936 du vendeur d'automobiles. De toute évidence, le
véhicule avait connu de meilleurs jours. Les cinq enfants s'assirent sagement à
l'arrière alors que leurs parents prirent place sur la banquette avant, aux
côtés du conducteur.
— Ça a l'air d'un
bon char, fit remarquer Gérard qui n'y connaissait strictement rien.
— Il est loin
d'être neuf. Il a déjà un bon sept ans, mais il roule pas trop mal, affirma
Rosaire. Il est à vendre. Si tu le veux, je peux te le faire à un bon prix.
— Je sais même
pas conduire.
— Ça s'apprend et
c'est facile, lui déclara son beau-frère sur un ton jovial. Quand tu roules sur
la grand-route, il y a pas de problème. T'as juste à suivre le char qui est
devant toi. En ville, ça demande de faire un peu plus attention. Il faut
surtout ouvrir les yeux quand il y a un p'tit char devant toi. Le monde se
garroche dans le milieu de la rue pour embarquer et il y en a qui regardent pas
pantoute s'il y a des chars qui s'en viennent.
— Qu'est-ce qu'on
ferait ben d'un char? demanda Laurette. On n'en a pas besoin. Gérard travaille
à cinq minutes de la maison.
— Vous pourriez
vous en servir pour sortir à votre goût, aller faire vos commissions et faire
un tour à Saint-Hyacinthe quand ça vous tente, énuméra le vendeur d'automobiles
en écrasant dans le cendrier son mégot de cigare malodorant.
— C'est ben trop
cher pour nos moyens, une affaire comme ça, trancha Laurette. Avec cinq
enfants...
— C'est sûr que
c'est plus important de nourrir et d'habiller les enfants que de rouler en
char, reconnut de bonne grâce Rosaire en jetant un coup d'œil dans son
rétroviseur. Si j'avais le choix entre des enfants et un char, vous pouvez être
certains que je lâcherais le char tout de suite.
— Vous êtes
encore jeunes. Ça va venir, dit Laurette pour le consoler.
Elle regarda le
profil du conducteur et se tut. Elle venait soudain de comprendre à quel point
son beau-frère regrettait amèrement de ne pas avoir d'enfants. Colombe et lui
avaient peut-être une vie plus aisée que la sienne, mais il était évident
qu'ils souffraient de cette situation.
Immédiatement, la
mère de famille éprouva un intense sentiment de fierté. A trente et un ans,
elle avait mis au monde cinq enfants en parfaite santé dont deux fréquentaient
maintenant
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