Des rêves plein la tête
On venait d'étatiser la Montréal Light and Power et on parlait de
créer un ministère du Bien-être et de la Jeunesse dans les mois à venir.
— Ça, c'est un
vrai gouvernement, répétait Gérard pour narguer son voisin, Bernard Bélanger,
toujours aussi libéral.
Pour sa part,
Laurette se réjouissait surtout de l'adoption par Ottawa de la loi sur les
allocations familiales qui lui assurait une rentrée mensuelle d'argent fort
bienvenue. Grâce à ce nouveau montant, elle put préparer Gilles convenablement
pour son entrée à l'école Champlain, à l'automne 1944.
Cette année-là,
elle eut aussi l'occasion de se rendre compte à quel point son Richard était un
enfant agité. Étrangement, le petit garçon maigre aux grandes oreilles
largement décollées avait été plutôt calme durant toutes les années où Gilles
était encore à la maison et pouvait jouer avec lui. Cependant, depuis que son
frère fréquentait l'école, le cadet de la famille se déchaînait presque
quotidiennement.
— S'il continue
comme ça, je vais finir par l'étrangler, cet enfant-là! s'écriait parfois sa
mère, à bout de patience.
Cent fois par
jour, elle lui répétait de cesser d'entrer et de sortir de l'appartement et de
demeurer dans la cour. Ses va-et-vient continuels finissaient par réveiller sa
petite sœur, forçant Laurette à interrompre ses tâches pour rétablir l'ordre.
En fait, Richard
s'était adonné à tous les mauvais coups que son imagination lui avait inspirés.
Il apprenait assez difficilement à s'amuser tout seul. Un avant-midi d'octobre,
sa mère l'habilla chaudement et lui ordonna de jouer dehors, dans la cour.
Quelques minutes plus tard, l'enfant de cinq ans rentra dans la maison.
— Regardez,
m'man, ce que j'ai trouvé dans la cour, dit-il sur un ton triomphant à sa mère
qui lui tournait le dos.
Sans méfiance,
Laurette se retourna pour découvrir que son fils lui tendait fièrement un rat
mort. Son cœur cessa de battre une fraction de seconde quand elle identifia le
trophée qu'il tenait par la queue. Combattant difficilement la nausée, elle lui
cria :
— Va me jeter ça
dans les poubelles dehors et viens te laver les mains, mon énergumène !
Quand il revint
vers elle un instant plus tard, elle le disputa et lui défendit de toucher à
des animaux morts.
Au lendemain de
la première tempête de neige de l'hiver, à la mi-novembre, la mère de famille
permit à son fils d'aller jouer dans la cour. Depuis son lever, ce matin-là, le
gamin était intenable et ne cessait de faire pleurer la petite Carole.
— Tiens,
débarrasse-moi le plancher, dit Laurette énervée, en lui ouvrant la porte. Tu
sors pas de la cour et tu rentres pas toutes les cinq minutes pour faire geler
la maison, tu m'entends ?
— OK, m'man.
— Je veux pas te
voir essayer d'entrer dans le hangar non plus. C'est pas une place pour jouer.
— OK.
— Prends la pelle
sur le balcon et enlève la neige. Après, fais un beau bonhomme de neige. Tu me
le montreras quand tu l'auras fini.
Richard, bien
emmitouflé et la bouche couverte par un foulard de laine, sortit à l'extérieur.
Pendant un certain temps, sa mère l'entendit gratter le balcon avec la vieille
pelle à neige et finit par s'en désintéresser, occupée à faire le ménage des
chambres donnant sur la rue.
Une heure ne
s'était pas écoulée quand un coup de sonnette impérieux fit sursauter Laurette
en train de balayer le parquet du couloir. Elle abandonna son balai et alla
écarter le rideau qui masquait la fenêtre de la porte
d'entrée. Elle
vit Emma Gravel, surexcitée, vêtue d'une simple veste en laine. Elle lui ouvrit
la porte.
— Mais vous êtes
pas habillée pour vous promener dehors par un temps pareil, madame Gravel, lui
fit-elle remarquer.
— Madame Morin,
je suis descendue en vitesse parce que votre Richard va finir par se tuer. Je
l'ai averti deux fois, mais il m'écoute pas.
— Qu'est-ce qu'il
a encore fait, cet agrès-là !
— Il a trouvé un
bout de carton et il s'en sert comme traîne-sauvage dans l'escalier. Je vous le
dis, il va finir par s'assommer. Il monte jusqu'à mon balcon, il s'assoit sur
son carton et il se laisse glisser jusqu'à la clôture.
— Ahi ben, le
petit maudit ! Je m'en occupe tout de suite, promit-elle à la voisine. Vous
êtes ben fine d'être venue m'avertir.
La voisine monta
chez elle pendant que
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