Des rêves plein la tête

fèves au lard qu'elle
avait l'intention de servir pour le souper.
     
    — Éloignez-vous
pas trop, prit-elle soin de dire à Gilles et Richard qui venaient d'ouvrir la
porte de la clôture pour aller jouer dans la grande cour avec des copains. On
va souper aussitôt que votre père va arriver de travailler. Dites à Denise de
descendre mettre la table.
     
    Laurette termina
la préparation du repas et alla s'asseoir dans sa chaise berçante, sur le
balcon, pour fumer une cigarette et échapper à la chaleur qui régnait à
l'intérieur de l'appartement.
     
    — M'man, la table
est prête, dit Denise à travers la porte moustiquaire quelques minutes plus
tard. Je pense que les binnes sont prêtes aussi.
     
    — C'est correct.
Ote le chaudron sur le poêle pour pas qu'elles collent.
     
    Les minutes
s'écoulèrent lentement et Laurette, fatiguée, somnola un peu. Lorsqu'elle
rouvrit les yeux, il lui sembla qu'il y avait moins de cris excités dans la
grande cour, signe que plusieurs enfants étaient rentrés manger.
     
    — Denise, quelle
heure il est? demanda-t-elle en tournant la tête vers la porte moustiquaire.
     
    — Il est six
heures et cinq, m'man, répondit Gilles de la cuisine. Est-ce qu'on est à la
veille de manger ?
     
    Laurette se leva
péniblement et entra dans la maison.
     
    — Voulez-vous ben
me dire ce que fait votre père à soir ? Il devrait être revenu depuis au moins
une demi-heure.
     
    Elle se rendit à
la porte d'entrée, l'ouvrit et se pencha en direction de la rue Fullum. Elle ne
vit personne.
     
    — Jean-Louis !
cria-t-elle à son aîné qui se trouvait encore dans sa chambre. Va au coin de
Fullum et Notre-Dame pour voir si ton père s'en vient. Fais ça vite.
     
    Elle retourna
dans la cuisine et remit les fèves au lard à chauffer.
     
    — Approchez, vous
autres, dit-elle de mauvaise humeur. On va souper. Votre père mangera quand il
arrivera.
     
    Jean-Louis revint
à la maison alors que Laurette finissait de servir les enfants à table.
     
    — Je l'ai pas vu,
m'man.
     
    — Où est-ce qu'il
est passé, lui ? Il est toujours ici dedans à cinq heures et demie d'habitude.
C'est pas possible, il a dû lui arriver quelque chose.
     
    Elle servit Jean-Louis
puis mangea le contenu de son assiette sans aucun entrain. Après le repas, elle
permit à
     
    ses garçons
d'aller jouer dehors à condition qu'ils ne s'éloignent pas trop. Laissant
Carole s'amuser avec une poupée dans la cuisine, elle lava ensuite la vaisselle
avec l'aide de Denise. La colère suscitée par le retard inexplicable de son
mari laissait de plus en plus place à de l'inquiétude.
     
    — Si ton père
s'en vient pas ben vite, dit-elle à sa fille, j'aurai pas le temps d'aller
faire mes commissions à soir.
     
    Un peu après six
heures trente, Gilles ouvrit la porte d'entrée pour annoncer à sa mère que son
père arrivait. Comme Gérard tardait encore à entrer, Laurette abandonna le
vêtement qu'elle reprisait pour aller voir ce qui le retardait tant. Elle ouvrit
la porte d'entrée et s'arrêta net sur le trottoir. Son mari bavardait avec un
individu qu'elle voyait parfois entrer chez Brodeur, au coin de la rue.
     
    Finalement,
Gérard sembla se rendre compte de la présence de sa femme devant leur porte. Il
salua l'homme et se dirigea vers elle. Quelque chose dans sa démarche intrigua
immédiatement Laurette.
     
    ter- Est-ce que
tu m'attends ? demanda-t-il en passant devant elle pour pénétrer à l'intérieur.
     
    — D'après toi?
dit-elle sèchement.
     
    — Ben là, tu vas être
con... contente, me v’là! dit Gérard en émettant un petit rire anormal.
     
    Retrouvant
instantanément toute sa mauvaise humeur, Laurette s'approcha de lui et le
renifla.
     
    — Ah ben, bonyeu
! Mais t'as bu ! Tu sens la tonne à plein nez !
     
    — Ben oui, fit
Gérard en se laissant tomber sur une chaise. Mais je suis pas soûl pan...
pantoute, ajouta-t-il d'une voix hésitante. J'ai juste bu un ou deux verres à
la taverne avec les gars qui vou... voulaient fêter notre boss qui est envoyé
en Ontario à par... partir de la semaine prochaine.
     
    — En v’là tout un
exemple pour les enfants ! s'emporta Laurette, campée solidement devant lui sur
ses deux jambes. A cette heure, ils ont un ivrogne comme père !
     
    — Aïe ! Exagère
pas, cy... cybole ! Je suis pas soûl. Je viens de te le dire.
     
    — Et moi, la
belle dinde, je me faisais du mauvais sang pendant que monsieur avait du fun
avec ses