Des rêves plein la tête

chums à la taverne en buvant sa paye. Ça, je le prends pas, Gérard
Morin! Je te trouve même pas^mal écœurant, si tu veux savoir !
     
    — Whow, calvaire
! se fâcha à son tour un Gérard que la colère de sa femme était en train de
dégriser. Tu vas te calmer les nerfs, oui? Si c'est pour ma paye que tu t'é...
t'énerves, la v’là, ajouta-t-il en sortant une petite enveloppe beige d'une
poche de son pantalon.
     
    Laurette s'empara
de l'enveloppe et en déversa le contenu sur la nappe en toile cirée, de la
table. Elle compta rapidement l'argent.
     
    — Maudit verrat !
Il manque presque deux piastres ! Où est-ce qu'elles sont passés, ces deux
piastres-là ?
     
    — Imagine-toi
donc qu'ils don... donnent pas la bière à la taverne, bâtard !
     
    — Ah ben ! Il
manquait plus que ça !
     
    — Aïe ! Toi,
quand tu vas au res... restaurant le samedi, est-ce que je te re... reproche de
dépenser de l'argent?
     
    — Moi, je prive
pas personne, tu sauras, déclara Laurette sans se rendre compte de son
illogisme.
     
    — Là, ça va
faire, Laurette Brûlé ! s'emporta Gérard. Tu m'as assez é... écœuré à soir. Tu
vas me laisser respirer un peu ! Si j'ai pas le droit de dé... dépenser une
cenne de tout l'argent que je ra... rapporte ici dedans, je suis aussi ben de
sacrer mon camp.
     
    — Ben, fais donc
ça ! répliqua sa femme sur le même ton. J'ai pas besoin pantoute d'un ivrogne
dans la maison !
     
    Sur ces mots, la
mère de famille ramassa l'argent répandu sur la table et alla prendre sa bourse
dans sa chambre à coucher.
     
    — Jean-Louis,
sors la voiture et viens-t'en, ordonna-t-elle sèchement à son fils aîné. On
s'en va faire les commissions chez Tougas. Toi, Denise, surveille les petits.
Tu coucheras Carole à sept heures et demie et tu verras à ce que tes deux
frères se débarbouillent un peu, si je suis pas revenue avant.
     
    Sans un mot,
Jean-Louis alla chercher la voiturette dans le hangar et sortit de la cour pour
aller rejoindre sa mère qui l'attendait sur le trottoir, devant la porte de
l'appartement. C'était à lui qu'incombait la tâche de transporter les sacs de
provisions de l'épicerie de la rue Sainte-Catherine jusqu'à la maison, une
corvée qu'il détestait profondément.
     
    Quand Laurette et
son fils revinrent près de deux, heures plus tard, l'appartement était
particulièrement silencieux. Le soleil commençait à se coucher, apportant une
fraîcheur bienvenue. Tous les deux transportèrent la nourriture dans la
cuisine.
     
    . — Merci de nous
avoir donné un coup de main, dit-elle, acide, à travers la porte moustiquaire,
persuadée que son mari s'était réfugié sur le balcon pour bouder.
     
    Denise quitta
alors le balcon et entra dans la cuisine avec Gilles et Richard sur les talons.
     
    — Je vous ai pas
entendue rentrer, m'man, s'excusa la fillette.
     
    — C'est pas pour
toi que je disais ça. C'est pour ton père.
     
    — Il est pas sur
le balcon.
     
    — Il a décidé
d'aller cuver sa bière en se couchant, je suppose.
     
    — Non, m'man. Il
est parti presque en même temps que vous.
     
    — Hein ? Est-ce
qu'il t'a dit où il allait ?
     
    — Non. Je l'ai vu
parler à monsieur Gravel. Il est rentré une minute avant de repartir avec un
paquet. Il a embarqué dans le taxi du père de Colette et ils sont partis.
     
    — Ton père a pris
un taxi ? demanda Laurette, stupéfaite.
     
    — Ben oui.
     
    — Ah ben, j'en
reviens pas ! dit-elle en s'assoyant dans sa chaise berçante, avant d'allumer
une cigarette. Et il t'a pas dit où il s'en allait?
     
    — Non. Quand
monsieur Gravel va revenir, voulez-vous que j'aille lui demander où p'pa est
allé?
     
    — Ben non. On le
demandera à ton père quand il reviendra. Pendant que je reprends mon souffle,
commence à placer le manger dans l'armoire, ajouta-t-elle.
     
    Quelques minutes
plus tard, Laurette envoya ses enfants au lit avant de se mettre à préparer le
dîner que les siens mangeraient le lendemain pendant qu'elle arpenterait les
grands magasins de la rue Sainte-Catherine, comme elle le faisait pratiquement
tous les samedis. Lorsqu'elle eut fini, elle entreprit de fabriquer sa
provision hebdomadaire de cigarettes tout en jetant, de temps à autre, un coup
d'œil à l'horloge murale.
     
    À dix heures,
elle devint de plus en plus nerveuse. Les magasins étaient maintenant fermés
depuis une bonne heure. Où son mari était-il passé ? S'il était retourné boire
à la