Des rêves plein la tête
s'était pourtant jamais beaucoup intéressée à
ses petits-enfants.
— Les trois plus
vieux sont à l'école. Les deux autres, je viens de les coucher pour leur
sieste. Quand ils dorment pas l'après-midi, ils sont pas endurables.
— Vous avez bien
du mérite, ma fille, l'approuva sa belle-mère. Cinq enfants à élever, ça doit
pas être facile tous les jours.
Tout de suite,
Laurette fut sur ses gardes. Il était vraiment trop inhabituel que sa
belle-mère la louange pour ne pas se méfier.
— Allez-vous
déménager cette année ?
— Ben non, madame
Morin.
— Je comprends
pas que vous vous décidiez pas à aller vivre dans un quartier moins pauvre. Il
me semble que toutes ces odeurs, ça doit pas être très bon pour vos petits. En
plus, on peut pas dire que vous vivez dans un château...
Tout ça, c'est
tellement vieux, ajouta-t-elle en désignant l'appartement de la main.
Le sang de
Laurette ne fit qu'un tour. Il y avait tout de même des limites à ne pas
dépasser et Lucille avait le curieux don de toutes les franchir.
— Savez-vous,
madame Morin, que je vous trouve pas. mal insultante, fit-elle, le regard en
feu.
— Mais c'était
pas mon intention, Laurette, se défendit Lucille, apparemment surprise par le
ton de sa voix.
— Je vais vous
dire quelque chose, moi. Si on reste ici, c'est parce que votre garçon a pas
les moyens de nous faire vivre ailleurs. Il gagne pas assez. S'il était le
moindrement ambitieux, ça ferait longtemps qu'on serait installés dans un
appartement comme celui de votre fille. Mais qu'est-ce que vous voulez que j'y
fasse ? C'est pas moi qui l'ai élevé. Tout ce qu'il veut dans la vie, c'est son
maudit journal et son radio pour écouter les nouvelles et le hockey.
— Avec cinq
enfants...
— Ces cinq
enfants-là, c'est lui qui les a faits, madame Morin ! Il devait ben savoir
qu'il faudrait les nourrir et les habiller. Je lui ai déjà offert des centaines
de fois d'aller travailler durant la guerre. Un autre salaire dans la maison
aurait fait du bien. Il a jamais voulu. Il a toujours dit que c'était pas la
place d'une femme mariée "de passer ses journées dehors et qu'il avait les
moyens de nous faire vivre.
— Il faut le
comprendre, plaida Lucille. Un homme a sa fierté. Mais c'est à vous, Laurette,
de le pousser, de lui donner le goût de vous sortir d'ici. Regardez ce que
Colombe fait avec Rosaire.
— Votre garçon a
pas d'ambition, belle-mère, répéta Laurette, excédée. C'est pas tous les hommes
qui sont comme Rosaire.
Elles
abandonnèrent le sujet, mais le malaise persista jusqu'à l'arrivée de Paul
Bouchard, qui ne descendit de
voiture que pour
embrasser sa nièce par alliance avant de repartir en compagnie de sa sœur.
Lorsque la
voiture s'éloigna en direction de la rue Fullum, Laurette poussa un soupir
d'exaspération. Il n'y avait pas à dire, elle ne s'entendrait jamais avec sa
belle-mère. Les deux femmes étaient comme chien et chat chaque fois qu'elles
étaient en présence l'une de l'autre. Elle avait beau se raisonner avant
chacune de ses visites, Laurette finissait toujours par exploser, incapable de
tolérer les remarques désobligeantes de Lucille qui, chaque fois clamait
qu'elle n'avait aucune intention de blesser sa bru.
Lorsque Gérard
rentra, elle préféra lui taire la visite de sa mère, persuadée qu'il poserait
suffisamment de questions pour découvrir qu'elles s'étaient encore disputées.
Évidemment, il la blâmerait et mettrait encore tout sur le compte de son
mauvais caractère.
r 1
•mi
Chapitre 26
La dispute
L'été fut
beaucoup moins pénible que ne l'avait anticipé la mère de famille. Jean-Louis
et Denise prirent l'habitude d'emmener Gilles et Richard au parc Frontenac,
coin Frontenac et Sainte-Catherine, deux ou trois fois par semaine. Les aînés
auraient préféré aller au parc Bellerive, beaucoup plus près et bien ombragé,
mais leur mère refusa obstinément de leur donner la permission de traverser la
rue Notre-Dame, qu'elle jugeait trop dangereuse. Elle craignait aussi les
vagabonds qui y traînaient. Le reste du temps, Jean-Louis se réfugiait dans sa
chambre pendant que Denise allait s'amuser avec Colette Gravel, à l'étage
au-dessus.
Le premier
vendredi du mois d'août, Laurette termina son ménage hebdomadaire à la fin de
l'après-midi, juste à temps pour déposer sur le poêle les
Weitere Kostenlose Bücher