Des rêves plein la tête
taverne, il ne tarderait pas à rentrer parce qu'il ne possédait pas
suffisamment d'argent dans ses poches pour boire très longtemps.
Une demi-heure
plus tard, elle décida d'aller enfiler ses vêtements de nuit et d'éteindre les
lumières dans l'appartement. Dans le noir, elle se mit à arpenter le couloir,
soulevant à chacun de ses passages le rideau qui masquait
la fenêtre de la
porte d'entrée. Chaque fois, elle scrutait la section de la rue Archambault qu'elle
pouvait voir.
Un peu après onze
heures, elle entendit le bruit d'une voiture freinant devant sa porte. Elle se
précipita vers la fenêtre de sa chambre et regarda à l'extérieur entre les
lattes des persiennes. Charles Gravel venait d'arriver à bord de son taxi
Vétéran. Pendant un bref moment, elle crut qu'il ramenait Gérard à la maison,
mais constata vite que le conducteur était seul. Elle le vit verrouiller
soigneusement les portières de son véhicule avant de se diriger vers la porte
voisine. Elle l'entendit monter pesamment l'escalier puis marcher au-dessus de
sa tête. Enfin, le silence revint.
Partagée entre la
rage et l'angoisse, la mère de famille finit par se mettre au lit. Toutefois,
le sommeil la fuyait obstinément. Les yeux braqués sur les chiffres
phosphorescents du gros Westclock posé sur la table de nuit, elle voyait
s'égrener les minutes avec une lenteur épouvantable.
«Mais où est-ce
qu'il est passé?» ne cessait-elle de se demander dans le noir.
Finalement,
l'épuisement eut raison d'elle et elle finit par s'endormir un peu avant quatre
heures du matin.
Les voix des
enfants la tirèrent du sommeil au matin. Avant même d'ouvrir les yeux, elle
tâta le lit à ses côtés et s'aperçut que la place de Gérard était vide. Elle se
souleva sur un coude pour regarder l'heure. Le réveille-matin indiquait neuf
heures et demie.
Elle se leva,
enfila sa robe de chambre et chaussa ses vieilles pantoufles avant de se
diriger vers la cuisine où elle trouva Denise en train de faire déjeuner sa
petite sœur de trois ans.
— Où sont tes
frères ? demanda-t-elle à sa fille en s'emparant de son étui de cigarettes
déposé la vieille sur la glacière.
— Gilles et
Richard jouent dans la grande cour. Ils ont mangé. Jean-Louis est sur le
balcon. Est-ce que p'pa est encore couché ?
— Non.
— Où est-ce qu'il
est, m'man ?
— Je le sais pas,
répondit sèchement sa mère. Tu peux défaire la table. Je déjeune pas à matin.
— Allez-vous
magasiner, même si p'pa est pas ici ? Je peux garder si vous voulez.
— Non. Je me sens
trop "fatiguée. J'irai la semaine prochaine. T'as été ben fine de
t'occuper de Carole. Si tu veux, tu peux aller l'habiller et l'amener faire un
tour.
Laurette demeura
assise à table durant de longues minutes à fumer et à siroter un café devenu
froid. Quand elle vit le taxi de Charles Gravel encore stationné devant la
porte, elle se demanda si elle ne serait pas mieux d'aller demander au voisin
où il avait conduit Gérard la veille. Toutefois, le temps qu'elle se décide
enfin à se lever et à s'habiller, la Chevrolet noir et jaune avait quitté la
rue Emmett.
— C'est aussi ben
comme ça, dit-elle à mi-voix dans le logement vide. Il manquerait plus que je
passe pour une folle que son mari a plantée là parce qu'il pouvait plus
l'endurer. Maudit verrat ! J'étais tout de même pas pour supporter sans rien
dire qu'il dépense sa paye à la taverne ! Il y a un boutte ! On tire le diable
par la queue. On n'a pas les moyens de gaspiller comme ça.
Toutefois, au fil
des heures qui passaient, Laurette avait de plus en plus mauvaise conscience.
Elle sentait qu'elle avait exagéré lorsque son mari était rentré la veille.
Après tout, il n'était pas ivre au point de se donner en spectacle devant les
voisins...
— Maudite
niaiseuse! J'aurais dû me la fermer! Me v’là ben avancée à cette heure ! Je
sais même pas où il est.
Il y a rien qui
dit qu'il est pas avec une autre femme qui passe pas son temps à crier après
lui.
En proie à la
panique, elle se mit à tourner en rond dans la maison, incapable de se décider
à remettre de l'ordre dans les chambres des enfants.
— Elle s'appelait
comment déjà, la grande guidoune avec sa robe décolletée qui revenait avec lui
de l'ouvrage ? Lise ? Élise ? C'est Élise, je m'en rappelle. Mais Élise qui ?
Il disait qu'elle restait sur
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