Des rêves plein la tête
Dufresne... Bonyeu, je suis pas pour faire le
tour de toutes les maisons de la rue Dufresne pour la trouver !
Laissant la
jalousie l'envahir progressivement, Laurette se tritura les méninges pendant un
long moment pour tenter de se rappeler le patronyme de la jeune femme qui était
revenue de son travail en compagnie de son mari quelques années auparavant.
— Il y a rien qui
me dit qu'il l'a pas revue après ça. Il est ben assez hypocrite pour avoir
continué à la voir en cachette, l'écœurant! Si je savais où elle reste, elle,
j'irais lui dire deux mots dans la face.
Emportée par sa
jalousie, elle était incapable de s'apercevoir que ses doutes n'avaient aucun
fondement. Gérard ne pouvait avoir une maîtresse pour la simple raison qu'il
était toujours à la maison quand il ne travaillait pas. Il le lui avait
d'ailleurs rappelé à maintes reprises.
La journée du
samedi fut interminable. Chaque fois que l'un de ses enfants entrait dans la
maison, Laurette se précipitait, certaine que Gérard rentrait enfin. Mais il
n'en fut rien. Quand arriva l'heure du souper, elle fut incapable de continuer
à mentir à ses aînés qui lui demandaient à tour de rôle où se trouvait leur
père.
— Bon. Écoutez.
Votre père est en maudit. Arrêtez de me demander à tout bout de champ quand
est-ce qu'il va revenir. Je le sais pas. Est-ce que c'est assez clair, ça ?
Les enfants se le
tinrent pour dit, mais l'inquiétude de leur mère les gagna peu à peu.
Ce soir-là,
l'appartement fut particulièrement silencieux. Après avoir mis Carole au lit,
Laurette vit à ce que chacun prenne son bain, comme tous les samedis soirs,
mais à neuf heures, elle se coucha tout de suite après ses enfants. Elle se
sentait si fatiguée après sa mauvaise nuit qu'elle s'endormit en posant sa tête
sur l'oreiller. Toutefois, l'arrivée de Charles Gravel après sa soirée de
travail à bord de son taxi la réveilla en sursaut un peu avant minuit. Sa
première réaction fut d'allonger le bras pour vérifier si son mari était étendu
à ses côtés. Rien. Après être demeurée durant de longues minutes les yeux
ouverts dans l'obscurité, elle décida finalement de se lever et d'aller fumer
dans la cuisine.
— Lui, il va me
payer ça ! dit-elle vindicative, à mi-voix, en s'allumant une cigarette.
Elle éteignit le
plafonnier et fuma, assise dans sa chaise berçante, dans le noir.
— J'ai même pas
de journal à lire, se dit-elle, en regrettant de ne pas avoir acheté La Patrie
durant la journée.
Gérard s'en
chargeait habituellement. Il en avait toujours été ainsi.
Laurette ne se
remit au lit qu'à trois heures du matin. Quand Denise vint la réveiller vers
sept heures trente pour lui demander si elle devait aller à la basse-messe pour
être en mesure de garder les plus jeunes pendant que sa mère irait à la
grand-messe, comme tous les dimanches, cette dernière acquiesça avant de se
lever péniblement. Jean-Louis proposa d'accompagner sa sœur.
— Non. Toi, tu
viens à la grand-messe avec moi, lui ordonna-t-elle.
Lorsque sa fille
fut sur le point de quitter la maison quelques minutes plus tard, Laurette ne
put s'empêcher de lui demander à voix basse :
— Regarde donc si
ton père serait pas à l'église. Denise se contenta de hocher la tête avant
d'ouvrir la
porte. A son
retour moins d'une heure plus tard, elle trouva sa mère prête à partir vers
l'église en compagnie de Jean-Louis.
— Je l'ai pas vu,
m'man.
— C'est correct.
Bon. Arrive, toi, dit-elle en se tournant vers son fils. On va finir par être
en retard.
Ce matin-là,
Laurette pria pour que Gérard revienne et promit avec toute la sincérité dont
elle était capable de ne pas lui faire de scène lorsqu'il rentrerait. Une fois
revenue à la maison, elle envoya Denise prévenir ses grands-parents Brûlé
qu'ils n'iraient pas leur rendre visite après le dîner, comme ils avaient
l'habitude de le faire.
— Va pas leur
raconter que ton père est parti, la prévint sèchement Laurette. Contente-toi de
leur dire qu'on attend la visite de ton oncle Rosaire.
— Mais c'est pas
vrai, m'man, protesta la fillette.
— Laisse faire.
Fais ce que je te dis. Ils ont pas besoin de savoir ce qui se passe chez nous.
Elle prépara une
omelette, mais mangea sans appétit, le regard vague et l'oreille distraite.
Après le repas, elle dut se secouer pour remettre un
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