Des rêves plein la tête
avait suscitée.
Après avoir
mangé, il traversa chez Brodeur pour acheter La Presse et reprit sa place
habituelle sur le balcon arrière pour lire son journal. De temps à autre, sa
femme jetait un coup d'œil par la fenêtre, comme pour vérifier s'il était
toujours là. Cependant, au fil des heures, son humeur joyeuse céda la place à
une vague inquiétude. Il y avait une question importante qu'elle s'était bien
gardée d'aborder lorsqu'elle avait ramené son Gérard à la maison.
«Où est-ce qu'il
a passé les trois jours? se demanda-t-elle à nouveau. Il faudrait tout de même
pas qu'il me prenne pour une folle... S'il est allé dormir chez son Élise ou
chez une autre femme, ça se passera pas comme ça », se jura-t-elle.
— Qu'est-ce que
tu fais ? lui demanda alors Gérard à travers la porte moustiquaire. Tu viens
pas t'asseoir dehors ? Le soleil se couche. On est juste ben.
— Ce sera pas
long. Je m'occupe des enfants et j'arrive, répondit Laurette.
Peu après, elle
vint s'asseoir à ses côtés. L'obscurité descendait rapidement. Depuis quelques
minutes, le calme était tombé sur la grande cour. Les cris des enfants du
quartier qui s'y amusaient du matin au soir s'étaient éteints. Un peu partout,
les bouts rougeoyant de cigarette révélaient la présence des gens assis sur
leur balcon. Au-dessus d'eux, ils entendirent les frottements des pieds des
Gravel installés, eux aussi, sur leur balcon.
Il y eut un long
silence avant que Laurette se décide enfin à aborder la question qui la
taraudait.
— Sais-tu que tu
m'as jamais dit où t'avais dormi pendant les trois derniers jours, dit-elle
d'une voix tendue.
—-Je suis allé
chez Colombe, se contenta de dire Gérard.
— Bout de viarge
! s'exclama sa femme à mi-voix. Il manquait plus que ça ! Comme ça, elle est au
courant qu'on s'est chicanés ?
— Je lui ai rien
dit pantoute, protesta son mari.
— Ben non. Ta
sœur est une folle ! Elle a trouvé ça normal, je suppose, que t'ailles te faire
héberger chez eux. Et tu vas me faire croire qu'elle t'a pas posé de
questions...
— Elle a
peut-être deviné, mais elle m'a pas posé de questions.
— Maudit que ça
m'écœure ! admit Laurette, dépitée. Là, on peut être sûr que ça a fait le tour
de ta famille. Ta mère a dû être la première à l'apprendre. Regarde ben ça. La
prochaine fois qu'elle va mettre les pieds ici dedans, elle
va se dépêcher de
me suivre dans une chambre pour me demander si on s'entend mieux.
Gérard ne
répliqua pas et sa femme dut rabâcher seul son mécontentement.
Cette révolte de
Gérard fut toutefois sans lendemain. Il ne changea rien à ses habitudes et
Laurette en vint rapidement à oublier sa promesse de se montrer plus
compréhensive. Bien sûr, elle laissa son mari rendre visite à une ou deux
reprises à Rosaire et à Colombe le samedi avant-midi, mais il se lassa vite de
cette sortie parce que son beau-frère était le plus souvent absent, retenu au
garage où il travaillait.
Par ailleurs, si
Lucille fut mise au courant de la crise traversée par le couple, elle eut la
sagesse de n'en faire aucune mention lors de sa visite suivante. Laurette en
fut quitte pour s'être préparée inutilement à faire face à des reproches en
partie mérités.
¦
Chapitre 27
Des débuts
mouvementés
•
Au lendemain de
la fête du Travail, ce fut le branle-bas' chez les Morin. Le moment était venu
pour les enfants de retourner à l'école pour entreprendre une nouvelle année
scolaire.
Laurette les
avait réveillés dès le départ de Gérard pour le travail. La veille, elle avait
repassé les vêtements de chacun après s'être assurée qu'il ne manquait aucun
bouton. Les souliers avaient été cirés et les sacs d'école nettoyés. Ce
matin-là, elle vit à ce que chacun se lave et se peigne après avoir mangé un
bol de gruau.
— C'est plate,
les vacances sont déjà finies, se plaignit Jean-Louis, debout devant la porte
moustiquaire de la cuisine.
— Moi, j'ai hâte
de recommencer, fit son frère Gilles en finissant de se peigner devant le petit
miroir suspendu au-dessus de l'évier de la cuisine.
Assis dans la
chaise berçante de son père, Richard était anormalement calme depuis son lever.
Il s'agissait de son premier matin à l'école, et cette perspective ne semblait
pas l'enthousiasmer outre mesure. Pendant que sa mère
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