Des rêves plein la tête
Apportez-moi
vos bulletins, leur ordonna-t-elle. Je vais les mettre dans un de mes tiroirs.
Comme ça, on saura où les trouver au mois de septembre.
Gilles fut le
premier à lui tendre le relevé jaune pâle que sa mère avait fidèlement signé
chaque mois depuis le début de l'année scolaire. Laurette consulta sa note
finale.
— Ouais. On peut
pas dire que tes notes sont ben belles, laissa-t-elle tomber. Au moins, t'as
soixante-trois pour cent. Tu passes en troisième année.
Denise déposa son
bulletin sur la table, devant sa mère, sans dire un mot. Cette dernière
l'ouvrit et relut deux
fois plutôt
qu'une la phrase inscrite en rouge au bas du document.
— Ah ben, maudit
verrat ! s'exclama-t-elle. Dis-moi pas que tu doubles encore !
L'adolescente
recula d'un pas devant l'éclat de voix. Après avoir recommencé sa quatrième
année, voilà qu'elle devait reprendre sa septième année parce que ses notes
étaient nettement insuffisantes.
— Je te l'avais
dit que t'étudiais pas assez ! s'emporta sa, mère. Cinquante-cinq pour cent !
Si ça a de l'allure ! Puis toi ? fit-elle en se tournant vers Richard. Où
est-ce qu'il est ton bulletin ?
— Il est sur la
table, m'man. Moi aussi, je double, ajouta-t-il sans manifester aucune peine.
La maîtresse a dit que l'année prochaine, j'étais pour être meilleur. En tout
cas, je suis pas tout seul. Il y a trois autres gars de ma classe qui vont recommencer
avec moi.
— Maudit innocent
! s'emporta Laurette. Ça en fait une consolation ! Ça a servi à quoi que je
passe toutes mes soirées à t'entrer quelque chose entre les deux oreilles? T'es
trop tête folle pour retenir quoi que ce soit. Attends l'année prochaine. Je te
garantis que je vais t'en mettre du plomb dans la tête, moi !
Le petit garçon
se tint coi, mais ne fut nullement perturbé par la réaction de sa mère.
Jean-Louis le contourna et tendit à son tour son bulletin, affichant une mine
coupable qui en disait long sur ses résultats scolaires. Laurette s'empressa de
consulter le mince carton.
— Pas toi aussi !
s'écria-t-elle, la voix éteinte. C'est pas vrai ! Cinquante-sept pour cent !
Bâtard ! Il me semble qu'il aurait pu te faire passer. Il te manque juste trois
points! Ton maître a ben dû voir que tu faisais tout le temps ton possible ! Il
a pas de cœur, cet homme-là ?
Tous les enfants
fixaient la table. Un silence pesant tomba sur la pièce.
— Bon. Me v’là
poignée avec trois doubleurs sur quatre, reprit-elle un instant plus tard en
affichant une mauvaise humeur évidente. Je trouve ça ben le fun d'avoir des
enfants paresseux, ajouta-t-elle d'une voix découragée.
Elle déposa
brutalement les bulletins de ses enfants sur la glacière. Personne n'osa encore
bouger.
— Je sais pas ce
que votre père va dire quand il va voir ça, mais je suis sûre qu'il sera pas
ben content. En attendant, je veux pas vous voir dans mes jambes. Allez vous
changer.
Chacun obtempéra.
Lorsque la mère de famille se retrouva seule dans la cuisine en compagnie de
Carole, elle réprima difficilement son envie de pleurer. Il lui semblait
injuste que tous les efforts qu'elle avait fournis durant l'année scolaire
soient aussi mal récompensés.
— Qu'est-ce que
j'ai fait au bon Dieu pour avoir une bande de gnochons pareils ? se
demanda-t-elle à voix haute avec dépit.
Après un dîner
rapide qui se prit en silence, elle confia à Denise la garde de sa sœur et de
ses. frères pour aller rendre visite à sa mère, autant pour s'épancher auprès
d'elle que pour lui tenir compagnie. Depuis le décès d'Honoré, Laurette et ses
deux belles-sœurs s'étaient entendues pour qu'Annette ne soit jamais laissée
seule durant l'après-midi.
La jeune femme
trouva sa mère installée sur le balcon arrière, à l'abri du soleil, occupée à
tricoter. Près de deux mois après le départ de son mari, Annette avait repris
des couleurs et peu à peu réorganisé sa vie. Elle partageait son temps entre
l'église, ses tâches ménagères et sa famille un peu envahissante.
— Ma pauvre
Laurette, je comprends pas pourquoi tu te lamentes comme ça parce que tes
enfants ont de la misère à l'école, dit-elle en regardant sa fille par-dessus
les verres de ses lunettes qu'elle ne portait que pour lire et tricoter. T'étais
comme eux autres quand t'allais à l'école. On dirait que tu l'as oublié.
— Voyons donc,
m'man !
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