Des rêves plein la tête
Septembre revint rapidement
avec son lot d'obligations et de problèmes à résoudre avant de pouvoir envoyer
les enfants à l'école. Il fallut s'assurer que chacun ait des vêtements et des
souliers décents pour commencer l'année scolaire et Laurette dut aussi trouver
l'argent nécessaire pour acheter de nouvelles fournitures.
— Bonyeu ! Il me
semble que c'est de plus en plus cher chaque année, dit-elle à Gérard qui la
laissait se débattre avec les problèmes d'intendance en se cachant derrière son
journal.
L'année scolaire
reprit, comme d'habitude, au lendemain de la fête du Travail. Cette fois-ci, la
mère de famille fit une mise au point très claire à ses enfants.
— Ecoutez-moi
ben, vous autres. A partir de demain soir, je veux vous voir vous installer à
table pour faire vos devoirs dès que vous aurez mis les pieds dans la maison,
après l'école. On s'est entendus, votre père et moi. Cette année, il va
s'occuper de Richard et de Gilles pendant que je vais voir à ce que Jean-Louis
et Denise fassent tout leur ouvrage. \
Gérard poussa un
tel soupir de résignation que Richard se tourna vers lui.
— Qu'est-ce qu'il
y a, p'pa ? On dirait que ça vous tente pas de vous occuper de nous autres.
— Ben non, mentit
Gérard.
— Vous êtes pas
obligé de faire ça, vous savez, lui fit remarquer son fils. On est capables de
faire nos devoirs et d'apprendre nos leçons tout seuls.
— Laisse faire,
le comique, le rabroua sa mère. On a vu ce que ça a donné l'année passée. Et,
en plus, je vous surveillais... C'est ton père qui a décidé de te prendre en
main. J'ai l'impression que t'es mieux de marcher droit.
— C'est en plein
ça, renchérit Gérard, sans grande conviction.
La décision de se
partager la tâche de surveiller les enfants était le fruit de longues et
pénibles négociations tenues entre le mari et la femme la semaine précédente.
Lorsque Laurette avait proposé cet arrangement, Gérard s'était d'abord révolté
en arguant qu'après dix heures de travail à l'usine, il méritait de respirer un
peu le soir, avant d'aller se coucher.
— Tu sauras,
Gérard Morin, que moi aussi, je travaille toute la sainte journée ! Et ma
journée d'ouvrage est pas
mal plus longue
que la tienne. En plus, il me semble que ça prend pas la tête à Papineau pour
voir que j'arrive pas à m'occuper comme il faut des quatre enfants à la fois,
chaque soir. Je l'ai fait l'année passée et regarde ce qui est arrivé. On en a
eu trois sur quatre qui ont pas réussi leur année.
— ils ont
peut-être pas assez de talent, osa avancer le père de famille, poussé dans ses
derniers retranchements, après de longues minutes de discussions stériles.
— Répète jamais
ça ! s'écria Laurette, offusquée. Nos enfants sont pas des fous. Ils sont aussi
capables que les autres de passer leur année. Il faut juste leur pousser dans
le dos.
Finalement,
Gérard avait capitulé et accepté de s'occuper des deux plus jeunes quand sa
femme lui avait fait remarquer que leurs devoirs étaient plus courts que ceux
de Denise et de Jean-Louis.
Dès le jour de la
rentrée, le nouveau plan de Laurette fut mis en application et strictement
respecté. Même Richard ne parvint pas à s'esquiver de l'horaire imposé par ses
parents. Chacun des enfants travailla sans relâche alors que les jours
rapetissaient de plus en plus. Les pluies froides d'octobre annoncèrent
l'arrivée prochaine de l'hiver. Encore une fois, il fallut installer lès
contre-fenêtres et acheter une bonne provision de charbon et d'huile à
chauffage en poussant un dernier soupir de regret.
Passionné par le
scandale autour du restaurateur Roncarelli et des Témoins de Jéhovah, Gérard se
mit à suivre de très près l'affaire, qui faisait la manchette. Il refusait de
blâmer l'acharnement évident du premier ministre Duplessis à l'endroit de ce
sympathisant des Témoins de Jéhovah et il ne se gênait pas pour l'affirmer.
Laurette sentait
que son mari supportait de plus en plus mal d'avoir à s'occuper des études de
Gilles et de Richard
durant la soirée.
Il était évident qu'il avait une nette tendance à se contenter de travaux
bâclés pour pouvoir se consacrer plus rapidement à la lecture de son
sacro-saint journal. Elle ne dit rien, attendant sa première visite à l'école
Champlain et la remise du bulletin scolaire du début de novembre pour
Weitere Kostenlose Bücher