Des rêves plein la tête
s'étendre et de ne plus s'occuper de rien.
— T'es au bout du
rouleau, lui dit-il. Va dormir. T'en as besoin. Je suis capable de m'occuper
des enfants.
Laurette
n'apparut dans la cuisine qu'à la fin de l'après-midi, les yeux gonflés de
larmes et l'air hagard. Elle s'assit dans sa chaise berçante, incapable de
décider si elle avait faim où non. Pendant que Gérard lui préparait une tasse
de café, elle s'alluma une cigarette d'un geste machinal.
— Est-ce que ça
va mieux, m'man ? lui demanda Richard, inquiet de voir sa mère dans cet état.
— Oui, oui, je
suis correcte, affirma-t-elle d'une voix morne.
— J'ai épluché
les patates, m'man, dit Denise. Elles sont sur le poêle.
Carole s'approcha
de sa mère et vint lui caresser le bras sans rien dire. Sa mère l'embrassa
distraitement.
La mère de
famille conserva cet air absent assez inquiétant pendant plusieurs jours, tout
en essayant de reprendre le contrôle de son foyer. Lorsque Armand et Bernard
lui demandèrent son aide pour trier les affaires de leur mère, elle ne put
qu'accepter. Étreinte par l'émotion, elle alla passer de nombreuses heures à
vider les tiroirs et les armoires de l'appartement de la rue Champagne en compagnie
de ses deux belles-sœurs et de ses frères. Le partage des maigres effets
d'Annette Brûlé ne suscita aucune contestation et la vente des quelques meubles
laissés par la disparue couvrit à peine les frais funéraires.
Dix jours après
le décès, les enfants de la défunte remirent les clés de l'appartement au
propriétaire. Il ne restait plus aucune trace de la présence des Brûlé dans les
lieux.
— Dire qu'ils ont
resté là presque quarante ans, et il reste plus rien, dit Laurette à ses
frères, les larmes aux yeux. La semaine prochaine, il y en a d'autres qui vont
venir vivre dans leur appartement... J'ai de la misère à le croire.
À voir le visage
de Bernard et d'Armand, il était évident qu'ils étaient aussi émus que leur
sœur en quittant définitivement le logement où ils étaient nés et où ils
avaient vécu jusqu'à leur mariage.
Laurette rentra
lentement chez elle, brisée par l'émotion.
— C'est fini, il
reste plus rien, déclara-t-elle à Gérard en retirant son manteau après avoir
fermé la porte d'entrée.
— Vous avez fait
ce que vous aviez à faire, fit-il. Personne pouvait te demander plus.
Il ne restait
plus que quatre jours avant la célébration de Noël. Personne n'avait encore
parlé de cadeaux et de réveillon chez les Morin. Les jours précédents, la mère
de
famille avait été
tellement prise par l'emballage des effets de sa mère que Gérard n'avait pas
osé aborder le sujet. Il avait cependant un pincement au cœur en regardant ses
cinq enfants installés à la table de cuisine. Il avait du mal à imaginer qu'on
pût les priver des quelques joies que le temps des fêtes offrait.
Ce soir-là, il
attendit que sa femme émerge de la longue sieste qu'elle s'était octroyée après
le souper pour lui parler. Les enfants étaient couchés depuis quelques minutes.
L'appartement était calme. A la vue de l'air abattu qu'elle arborait depuis les
obsèques de sa mère, il eut brusquement envie de la secouer un peu. Il attendit
qu'elle ait bu une tasse de café et fumé une cigarette avant de se lancer.
— Qu'est-ce qu'on
décide pour les cadeaux des enfants ? lui demanda-t-il à brûle-pourpoint.
— Quels cadeaux ?
— Les cadeaux de
Noël des enfants. C'est dans quatre jours, jugea-t-il utile de préciser.
— J'ai pas le
goût pantoute de m'occuper de ça.
— Et le réveillon
?
— La même chose.
Je veux qu'on me laisse tranquille. Je suis fatiguée, ajouta-t-elle en tournant
vers lui ses yeux cernés.
— Je sais que
t'as une passe difficile, reconnut Gérard, mais c'est pas la faute des enfants
si ta mère est partie. Elle est morte, c'est ben de valeur, mais la vie
continue, cybole ! On n'est pas pour priver les enfants de tout parce qu'elle
est plus là.
— Laisse-moi
tranquille. Je suis au bout du rouleau, dit Laurette sur un ton geignard.
— Ben, tu vas te
secouer ! s'emporta Gérard. Ça va faire ! Ta mère est morte depuis quinze
jours, mais nous autres, on l'est pas. Penses-tu que ça ferait plaisir à ta
mère
de te voir comme
ça? Elle te brasserait, je t'en passe un papier ! Arrête de te lamenter et
bouge. T'as juste à penser
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