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Des rêves plein la tête

Des rêves plein la tête

Titel: Des rêves plein la tête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel David
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la suivant dans le couloir.
     
    — Pas juste elle,
m'man, répondit Gérard à la place de sa femme. Il y a aussi la Dominion
Oilcloth. Et on sent même la brasserie Molson quand le vent vient de l'ouest.
     
    — Ça vous tombe
pas sur le cœur, toutes ces odeurs-là ? intervint Colombe.
     
    La mince
adolescente de dix-sept ans avait froncé le nez en adoptant une mine dégoûtée.
     
    — T'es encore pas
mal jeune, rétorqua sèchement l'hôtesse. Tu vas t'apercevoir en vieillissant
qu'il y a des senteurs ben pires que ça. Pas vrai, madame Morin ?
     
    — Vous avez
probablement raison, Laurette, concéda la quinquagénaire en s'assoyant sur la
chaise que lui présentait son fils.
     
    L'entêtement de
sa belle-mère à la vouvoyer avait le don de faire rager sa bru. Lors de leur
précédente rencontre, elle lui avait encore demandé de la tutoyer puisqu'elle
faisait dorénavant partie de sa famille, mais la mère de son mari avait fait la
sourde oreille, comme si elle tenait absolument à dresser une barrière
infranchissable entre elles.
     
    — Est-ce que ça a
beaucoup changé à Montréal depuis que Houde a été battu par Rinfret? demanda
Conrad à son fils.
     
    — Si ça a changé,
ça paraît pas, p'pa. D'après les nouvelles, il se fait pas grand-chose pour
faire disparaître la misère. Là, on parle d'ouvrir cette année un camp de
chômeurs à Valcartier, mais j'ai pas l'impression que ça va aider ben du monde.
     
    — Au fond, ce
qu'il nous faudrait, c'est un gars comme Hitler, en Allemagne, reprit
l'accordeur de chez Casavant.
     
    — T'es pas
sérieux, Conrad, intervint sa femme. Il fait peur, cet homme-là.
     
    — Comment vont
ton père et ta mère? demanda le père de Gérard à Laurette, changeant subitement
de sujet de conversation.
     
    — Ils vont ben,
monsieur Morin. On les a vus il y a deux jours. Ma mère parle juste de
monseigneur Villeneuve, qui vient d'être nommé cardinal. Ce qu'elle aimerait le
plus, ce serait d'être à Québec quand il va arriver là la semaine prochaine,
répondit cette dernière en se levant pour aller vérifier la cuisson du jambon
dans le four.
     
    Pour la première
visite de sa belle-famille, elle tenait à faire montre de ses talents
culinaires. La purée de pommes
     
    de terre était
déjà prête et le jambon presque à point. Le gâteau au chocolat, confectionné la
veille, avait été glacé une heure auparavant. Pourtant, aucun invité ne fit la
moindre remarque sur les bonnes odeurs qui flottaient dans l'appartement.
     
    — Bon. Il est
encore un peu de bonne heure pour manger, déclara Laurette après avoir sorti le
jambon du four. On pourrait ben vous faire visiter la maison, offrit-elle en
s'efforçant de sourire.
     
    La jeune femme
avait passé les deux dernières journées à astiquer chaque pièce avec soin. Elle
avait lavé les linoléums et étalé une épaisse couche de pâte à cirer sur chacun
avant de les frotter avec un lainage pour les faire reluire. Elle était fière
de son intérieur et désirait le faire admirer.
     
    — C'est pas
nécessaire, ma fille, laissa tomber Lucille, l'air dédaigneux, en demeurant
assise.
     
    — On voit que
c'est ben tenu, ajouta Conrad qui avait remarqué le déplaisir de sa bru.
     
    — Si c'est comme
ça, on est aussi ben de dîner tout de suite, fit Laurette avec brusquerie.
Approchez-vous. Je vais vous servir.
     
    Le visage fermé,
elle remit son tablier, s'empara d'un long couteau et coupa énergiquement des
tranches de jambon. Elle porta rapidement les assiettes remplies sur la table
sans dire un mot avant de déposer à sa place la sienne, généreusement garnie.
Durant le repas, Gérard fit des efforts méritoires pour entretenir la
conversation, qui resta tout de même languissante. Au moment où Laurette
finissait de distribuer une portion de gâteau à chacun, Gérard ne put
s'empêcher de dire :
     
    — Vous savez que
c'est pas mal rare que ma femme soit à la maison le samedi.
     
    — Comment ça ?
demanda Conrad, intrigué.
     
    — Elle aime aller
magasiner le samedi.
     
    — Toute seule !
s'exclama sa mère, un peu scandalisée.
     
    — Ben oui, madame
Morin, toute seule, comme une grande fille, déclara sèchement Laurette, l'air
mauvais.
     
    — Pourquoi
faites-vous ça? Je pensais pas que mon garçon faisait un si bon salaire que ça.
     
    — Inquiétez-vous
pas, répliqua Laurette avec un demi-sourire. Je sors pas le samedi pour
dépenser sa paye. Je sors juste

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