Des rêves plein la tête
supérieur incita Laurette
à sortir à l'arrière de son appartement. Sa voisine, Cécile Lozeau, se pencha
au-dessus du garde-fou de son balcon dès qu'elle entendit claquer la porte
moustiquaire derrière la jeune femme.
— Vous l'avez pas
vu, madame Morin ? s'écria la femme d'une voix stridente.
— De qui vous
parlez, madame Lozeau ?
— Ben, du petit
calvaire de voleur qui vient de partir avec le drap qui était étendu sur votre
corde.
— Hein ! Ah ben,
maudit verrat ! jura Laurette en constatant la disparition du drap qu'elle
avait lavé et mis à sécher quelques minutes plus tôt sur sa corde à linge.
— Avez-vous déjà
vu plus effronté que ça ? demanda la petite femme, aussi outrée que si elle
avait été la victime du larcin.
— Bonyeu ! Si
jamais je le poigne, celui-là, madame chose, je l'étripe ! s'emporta Laurette,
qui se rendait compte peu à peu de l'importance du vol.
Au même moment,
Annette Brûlé passa la tête au-dessus de la clôture en bois gris qui ceinturait
la cour de sa fille. Alertée par la voix en colère de Laurette, elle poussa le
portillon.
— Veux-tu ben me
dire ce qui se passe ? lui demanda-t-elle sans s'occuper le moins du monde de
la voisine, toujours penchée au-dessus du garde-fou.
— Vous me croirez
pas, m'man, mais je viens de me faire voler un drap en plein jour! Est-ce que
c'est assez écœurant pour vous, une affaire comme ça ?
— C'est sûr que
c'est pas mal fâchant, répondit sa mère sur un ton raisonnable en montant les
trois marches qui conduisaient au balcon. Mais c'est pas une raison pour qu'on
t'entende jusqu'à la rue Notre-Dame. Qu'est-ce que tu dirais si on rentrait?
Après avoir salué
la voisine, la jeune femme suivit sa mère à l'intérieur. À la vue du parquet
fraîchement lavé, Annette retira ses chaussures avant de s'asseoir.
— Il est presque
sec. Vous auriez pu garder vos souliers.
— Pourquoi t'as
fait ton lavage toute seule ? Je t'ai dit hier après-midi que je viendrais
t'aider à le faire aujourd'hui, la réprimanda sa mère sans tenir compte de ce
qu'elle venait de dire. T'es sur tes derniers milles, il faut pas que tu te
fatigues.
— Je suis encore
capable de faire mon ordinaire, m'man, répliqua sa fille en allumant une
cigarette.
Annette lui jeta
un regard lourd de reproche. Depuis quelques semaines, sa fille s'était mise à
fumer. Quand elle lui avait fait remarquer qu'elle était la seule femme qui
fumait la
cigarette parmi celles qu'elle connaissait, Laurette s'était contentée de dire
:
— Aimeriez-vous
mieux que je fume la pipe ou que je chique, m'man ?
— Non, j'aimerais
mieux que tu fumes pas pantoute, avait rétorqué sa mère du tac au tac. C'est
mal vu une femme qui fume, et tu le sais.
— Je fais ça
juste dans la maison et il y a personne qui me voit, m'man, s'était défendue la
jeune femme. Ça me calme les nerfs, maudit verrat! Quand le petit sera au monde,
je vais arrêter.
Il n'en restait
pas moins qu'Annette avait sévèrement blâmé son gendre pour sa mollesse, et pas
seulement en ce qui concernait cette nouvelle mauvaise habitude de sa fille. À
ses yeux, il n'était pas normal que cette dernière parvienne à toujours imposer
ses quatre volontés dans son jeune ménage. Si elle n'avait pas craint de se
faire bouder par Laurette, elle aurait conseillé à Gérard de « porter les
pantalons » chez lui, et ce, le plus rapidement possible.
— De grâce,
Laurette, surveille ton langage, reprit Annette sur un ton sévère.
— Qu'est-ce qu'il
a mon langage ?
— Il y a que tu
parles comme un charretier ! C'est pas comme ça que je t'ai élevée. Le monde
qui t'entend doit ben se demander d'où tu sors. Si ça a de l'allure pour une
femme qui se respecte de lâcher des «maudit verrat» et des «bonyeu» à tue-tête!
J'ai l'impression que la femme d'en haut a une mauvaise influence sur toi. T'es
en train de devenir aussi vulgaire qu'elle. Depuis que tu la fréquentes, tu lui
ressembles de plus en plus. Et c'est pas un compliment que je te fais là...
— Mais dire ça,
c'est pas sacrer, protesta Laurette. Je dis pas des «Christ» et des «tabarnac»
comme ben des femmes autour.
— Il manquerait
plus que ça ! s'exclama sa mère, horrifiée.
Annette laissa
flotter un silence qui traduisait bien son impuissance. Constatant que sa fille
restait impassible devant ses mises
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