Des rêves plein la tête
raisons
l'incitaient à ne pas vouloir s'expatrier. Bien sûr, elle ne désirait pas
s'éloigner trop de ses parents. Et elle n'avait aucune envie de vivre aussi
près de ses beaux-parents. Mais plus encore, un rêve secret d'aller vivre dans
un plus beau quartier de Montréal nourrissait le refus catégorique de Laurette
d'aller habiter dans la ville natale de son époux. À vingt-quatre ans, la jeune
mère voulait que ses enfants connaissent un jour autre chose qu'une vieille
maison délabrée et une cour en terre battue... La demeure décrite par ses
beaux-parents ressemblait un peu trop à celle que Gérard et elle habitaient sur
la rue Emmett.
Le redoux
printanier permettait à Laurette de faire de longues promenades avec ses jeunes
enfants qu'elle
installait tous
les deux dans le landau, même si Denise pouvait marcher. Au moins trois fois
par semaine, elle rendait visite à sa mère sur la rue Champagne, l'aidant
parfois à fabriquer des fleurs artificielles, comme elle le faisait à l'époque
où elle était jeune fille. Ces moments lui laissaient l'étrange impression
d'avoir quitté la maison depuis une éternité alors qu'à peine quatre ans
s'étaient écoulés depuis son mariage.
Pour sa part,
Gérard s'était découvert une passion pour la politique. Dès son retour du
travail, il s'empressait d'allumer la radio, curieux de connaître les dernières
nouvelles nationales et internationales. Il était intéressé par ce qui se
passait en Allemagne, en Italie et en Espagne. Hitler, Mussolini et Franco
défrayaient de plus en plus souvent les manchettes. Des rumeurs de guerre
circulaient de plus en plus fréquemment et l'incitaient à réfléchir, sans
toutefois l'inquiéter sérieusement. Par ailleurs, les nouvelles provinciales ne
le laissaient pas indifférent, loin de là, depuis que Maurice Duplessis avait
écarté Paul Gouin de son chemin en fondant l'Union nationale. Au lendemain des
scandales révélés par le comité des comptes de la province, Alexandre Taschereau
avait démissionné au profit d'Adélard Godbout et il était de plus en plus
question d'élections provinciales anticipées durant l'été.
Un après-midi du
mois de mai, Laurette, assise sur le balcon pour mieux surveiller Denise qui
jouait dans la cour, vit Cécile Lozeau descendre l'escalier abrupt qui
conduisait à son appartement.
— Madame Morin,
avez-vous vu ça ? demanda tout bas la grosse voisine, essoufflée malgré la
courte descente.
— Quoi ?
— Regardez dans
la cour à côté, lui chuchota-t-elle. Laurette allongea le cou pour apercevoir
la nouvelle
voisine et sa
mère, à genoux, au fond de leur petite cour
en terre battue,
occupées à planter quelque chose dans le sol.
— D'après vous,
qu'est-ce qu'elles font là? demanda Laurette, intriguée.
— On dirait ben
qu'elles sont en train de semer. Est-ce que c'est Dieu possible, une affaire
comme ça, madame chose ? Mon mari m'a fait remarquer hier soir que le
grand-père avait l'air de bêcher dans la cour, mais j'y croyais pas.
— Vous parlez du
drôle de monde ! s'exclama Laurette en cherchant à distinguer ce que la femme
faisait. Je vous ai pas raconté la meilleure, ajouta-t-elle toujours à mi-voix.
— Non ? demanda
la voisine, curieuse.
— Avant-hier
après-midi, j'ai amené les enfants au carré Bellerive pour prendre l'air. Il
faisait beau et chaud. A un moment donné, je me suis assise sur un banc pour me
reposer un peu. Vous devinerez jamais ce que j'ai vu!
— Quoi?
— Imaginez-vous
que j'ai vu notre voisine et sa mère dans le parc. Savez-vous ce qu'elles
faisaient toutes les deux ? Vous le croirez jamais.
— Non.
— Elles
ramassaient des pissenlits !
— Des pissenlits
!
— Ben oui. J'ai
ben regardé. C'est ça qu'elles ramassaient.
— Pourquoi elles
nettoyaient le gazon du carré Bellerive ? demanda Cécile Lozeau, étonnée.
— C'est ça, le
meilleur. Elles mettaient les pissenlits dans un grand sac qu'elles ont
rapporté chez eux.
— Arrêtez donc,
vous !
— Je vous le dis.
J'ai raconté ça à mon Gérard qui en a parlé chez Comtois. Il y avait quelqu'un
dans la grocery qui
a dit qu'elles
ont fait ça parce que les Italiens mangent ça. Croyez-vous ça, vous ?
— Ah ben !
J'aurai tout entendu ! s'exclama la voisine, qui n'en croyait pas ses oreilles.
ils mangent des cochonneries pareilles, eux autres? Ils
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