Des rêves plein la tête
gars aussi ambitieux. J'ai l'impression qu'avec lui,
elle manquera jamais de rien.
Gérard ne
répliqua pas, même s'il sentit que la réponse de sa femme cachait une critique
à son endroit. Depuis quelques mois, Laurette semblait insatisfaite de son sort
et se plaignait de plus en plus de leur manque chronique d'argent.
Une semaine plus
tard, la célébration de l'arrivée de la nouvelle année chez les Brûlé fut
beaucoup moins empesée, même si on soulignait à nouveau des fiançailles, qui
unissaient cette fois-ci Armand et Pauline Letendre.
Cette dernière
était une brunette énergique de vingt-deux ans qui demeurait avec sa mère dans
un petit appartement de la rue D'Iberville. Son père, charpentier, était mort
dans un accident de travail plusieurs années auparavant, obligeant sa veuve à
se trouver un emploi pour survivre. Cette dernière avait travaillé chez Barsalou
avec sa fille Pauline jusqu'à l'année précédente. Depuis quelques mois, la
maladie la retenait à la maison et le maigre salaire de sa fille pourvoyait
difficilement à leurs besoins.
Traditionnellement,
Aline Letendre aurait dû offrir une petite fête pour officialiser les
fiançailles de sa fille unique, mais Annette et Honoré avaient charitablement
proposé de célébrer l'événement. La petite fête, sans prétention, avait été
très chaleureuse. Chez les Brûlé, on appréciait beaucoup Pauline, toujours prête
à rendre service et ne rechignant jamais devant une besogne. Toute la famille
s'était rassemblée dès le début de l'après-midi pour rire et s'amuser. On ne
s'était pas gêné pour taquiner Bernard et sa nouvelle flamme, Marie-Ange, une
grande fille maigre que Laurette rencontrait pour la première fois.
Au dessert,
Armand avait glissé une bague toute simple au doigt de Pauline sous les
applaudissements nourris des convives. Les nouveaux fiancés révélèrent alors
qu'ils avaient l'intention de se marier en septembre et d'aller vivre avec la
mère de Pauline, rue D'Iberville.
Lorsque vint le
temps de ranger la cuisine, les femmes chassèrent les hommes vers le salon où
ces derniers purent parler de politique et de travail sans trop les ennuyer.
Armand, qui avait perdu son travail chez Dow au début de l'automne, avait eu la
chance de se faire embaucher dès la
semaine suivante
chez Molson. Selon lui, le salaire était meilleur et le travail, plus
intéressant.
Avant de
s'attabler pour jouer aux cartes, Annette et Honoré offrirent un cadeau à
Denise et à Jean-Louis.
— Il faut pas
oublier qu'aujourd'hui, c'est la fête des enfants, déclara la grand-mère en
offrant une poupée à Denise et un petit ourson brun à Jean-Louis.
La fillette, tout
heureuse du cadeau, embrassa ses grands-parents alors que son jeune frère
continuait à dormir à poings fermés malgré tous les gens qui parlaient autour
de lui. L'ourson déposé dans ses bras ne l'avait pas fait ciller.
— On dirait ben
que ça le dérange pas trop, fit remarquer Honoré en riant.
Les Montréalais
n'allaient pas oublier de sitôt le mois de janvier 1937. Dès le surlendemain du
jour de l'An, la ville essuya l'une des pires tempêtes de neige de son
histoire. À la fin de l'avant-midi, le ciel devint noir et un vent violent se
mit à charrier de gros flocons. En quelques minutes, la tempête se déchaîna,
rendant la visibilité presque nulle.
— Ça a pas
d'allure ! s'exclama Laurette debout devant la fenêtre de sa chambre. Je vois
même pas de l'autre côté de la rue. On dirait la fin du monde.
Les rues Emmett
et Archambault s'étaient rapidement vidées de tous les jeunes qui s'amusaient à
jouer au hockey, profitant ainsi des derniers jours de congé scolaire. Le
laitier, la tête rentrée dans les épaules, venait de jeter une couverture sur
le dos de son cheval, à deux pas de la porte. Le vent hurlait et faisait vibrer
les vitres des fenêtres. Instinctivement, Laurette serra ses bras contre elle,
comme pour se réchauffer, avant de se diriger vers la fournaise
pour y jeter un
peu de charbon. Dans la cuisine, la nourrice du poêle à huile était aux trois
quarts pleine.
Quand Gérard
rentra à la maison ce soir-là, il avait tout du bonhomme de neige.
— Cybole !
jura-t-il en secouant la neige qui le couvrait, on voit même pas à deux pieds
devant nous autres tellement il vente. C'est écœurant un temps comme ça. En
plus, le monde est obligé de
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