Des rêves plein la tête
sa piqûre.
Elle venait à
peine de rentrer à la maison et n'était pas encore allée chercher Denise chez
Cécile Lozeau que sa mère vint sonner à sa porte.
— Vous tombez
ben, m'man, lui dit-elle en la faisant entrer. Voulez-vous garder Jean-Louis une
minute, le temps que j'aille chercher Denise chez la voisine. J'arrive de la
Goutte de lait.
Sur ces mots,
elle remit un Jean-Louis en pleurs dans les bras d'Annette et monta à l'étage
récupérer sa fille.
Quand elle revint
dans son appartement, sa mère était assise dans l'une des chaises berçantes en
train de tenter de consoler le bébé à qui elle avait retiré ses vêtements
d'extérieur. .
— Veux-tu ben me
dire ce qu'il a à brailler comme ça, cet enfant-là ? lui demanda Annette.
— Il a que j'ai suivi
vos conseils et que je l'ai amené à la maudite Goutte de lait, s'emporta
Laurette, à bout de patience.
Avant de
poursuivre, elle prit son porte-cigarettes dans l'armoire et en tira une
cigarette qu'elle alluma avec une satisfaction évidente.
— Cet enfant-là
était ben correct avant que j'aille là, déclara-t-elle. Il a fallu que la
garde-malade lui fasse une piqûre. À cette heure, regardez comment il est. Il
est pas endurable. Il arrête pas de brailler, bonyeu !
— Pourquoi elle
l'a piqué ?
— Il paraît que
c'est un vaccin. En tout cas, c'est une maudite belle invention que cette
Goutte de lait-là. Les enfants entrent là en santé et ils sortent de là
malades. Je vais m'en souvenir, moi. Je vous garantis qu'il va faire chaud
avant que je remette les pieds là.
Si Annette Brûlé
parvint à calmer sa fille avant de rentrer chez elle, cela ne paraissait pas
quand Gérard revint à la maison à l'heure du souper. Jean-Louis faisait une
poussée de fièvre et son bras avait presque doublé de volume.
Au moment où le
jeune père de famille allait ouvrir son journal, Laurette déposa dans ses bras
un Jean-Louis en larmes.
— Tiens !
Occupe-toi un peu de lui, lui dit-elle sur un ton excédé. Je suis plus capable
de l'entendre crier. Il est comme ça depuis le commencement de l'après-midi.
— Qu'est-ce qu'il
a ? lui demanda Gérard.
Laurette lui
raconta sa visite à la Goutte de lait dans ses moindres détails tout en
dressant le couvert.
— Tu peux être
certain qu'ils me reverront plus la face là, promit-elle à son mari. Quand un
de mes enfants va être malade, c'est chez le docteur qu'on va aller, pas
ailleurs.
Chapitre 12
Une occasion
ratée
L'année 1935 fut
relativement calme pour la famille Morin. Laurette eut la chance d'échapper à
une troisième grossesse et en profita pour récupérer un peu. Denise devenait
une fillette pleine de vie alors que Jean-Louis, plus chétif mais complètement
tiré d'affaire, finit par faire ses premiers pas. Laurette continuait cependant
de le couver. Elle avait tellement eu peur de le perdre à sa naissance qu'elle
le surprotégeait instinctivement.
N'ayant pas à se
soucier des encombrements d'une autre grossesse, la jeune femme de vingt-trois
ans avait vite renoué avec ses samedis de congé. Ce jour-là, elle laissait à son
mari le soin de garder les enfants pour aller «magasiner dans l'ouest», comme
elle se plaisait à le dire. Elle revenait habituellement les mains vides, faute
d'argent, mais prête à reprendre le collier une autre semaine.
Pour sa part,
Gérard s'était fait, bon gré mal gré, à cette exigence de sa femme. Il
assumait, sans se plaindre, ses responsabilités de père. Il avait finalement
obtenu une légère augmentation de salaire au mois de janvier précédent, mais
celle-ci avait en grande partie été absorbée par la hausse du loyer, qui était
passé à onze dollars par mois.
Presque une autre
année s'écoula avant qu'un événement important ne vienne troubler la vie somme
toute paisible de la petite famille. Un dimanche après-midi de mars 1936,
Conrad et Lucille Morin débarquèrent rue Emmett sans avoir été invités. Le fait
était si exceptionnel que Laurette et son mari craignirent immédiatement une
mauvaise nouvelle.
— Mon Dieu, mais
c'est de la visite rare ! s'exclama Laurette en invitant ses beaux-parents à entrer.
— On sera pas
longtemps, lui annonça son beau-père en retirant son manteau. Paul est supposé
venir nous prendre pour nous amener voir son nouvel appartement à Joliette.
— Est-ce que les
enfants
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