Des rêves plein la tête
marcher. Il paraît que les p'tits chars passent
plus depuis au moins une heure. Je pense que j'ai pas vu deux chars rouler sur
Notre-Dame en m'en venant. Il fait tellement mauvais que j'ai failli passer
tout droit à Fullum. Je voyais rien.
Durant la soirée,
le jeune père de famille sortit à deux reprises pour déblayer l'entrée ainsi
que le balcon et la voie qui conduisait au hangar. A la radio, on annonçait que
le pont Jacques-Cartier était fermé à toute circulation et que les trains ne
circulaient plus depuis la fin de l'après-midi. Après avoir couché Denise,
Laurette avait approché sa chaise berçante du poêle et s'était mise à bercer
inlassablement Jean-Louis.
— Pourquoi tu le
couches pas ? finit par s'impatienter son mari. Il dort depuis au moins une
heure.
— Il aime ça, se
faire prendre, se contenta de dire sa femme.
— Tu le gâtes ben
trop, lui reprocha-t-il. Lâche-le un peu.
Laurette fit la
sourde oreille et continua à bercer son fils jusqu'à ce qu'elle se prépare
elle-même à se mettre au lit.
Le lendemain
matin, la situation n'avait guère évolué. Le vent était toujours aussi fort et
il neigeait autant. Quand le jour se leva, la jeune femme se rendit compte que
la neige s'était accumulée jusqu'à la hauteur de la fenêtre de sa chambre. Les
traces de pas de Gérard, qui avait quitté la maison depuis cinq minutes à
peine, avaient déjà disparu.
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Avant de partir, son
mari était allé remplir la nourrice d'huile à chauffage dans le hangar et avait
rapporté du sous-sol un seau de charbon.
Au milieu de
l'avant-midi, Laurette se mit à surveiller le passage du laitier et du
boulanger, même si elle doutait fortement qu'ils soient en mesure de desservir
leur clientèle ce jour-là. Aucun chasse-neige n'était encore passé dans les
rues Emmett et Archambault depuis le début de la matinée et la neige tombait
toujours. Les déneigeurs concentraient probablement tous leurs efforts dans les
grandes artères pour que la circulation puisse reprendre normalement le plus
vite possible.
Peu avant le
repas du midi, le vent se calma enfin et il ne tomba plus que quelques flocons
épars. Pendant la sieste des enfants, la mère de famille décida d'endosser son
manteau et d'aller chez Comtois pour se procurer le lait et le pain dont elle
avait besoin puisque les livreurs ne semblaient pas être en mesure de passer ce
jour-là à cause de la tempête.
Dehors, le froid
intense lui coupa le souffle. De la neige à mi-jambes, elle se fraya tant bien
que mal un chemin jusqu'à l'épicerie, de l'autre côté de la rue, acheta les
denrées dont elle avait besoin avant de revenir péniblement à la maison. Elle
n'aimait pas laisser ses enfants seuls quand le poêle et la fournaise
fonctionnaient.
Laurette sursauta
violemment en apercevant quelqu'un recroquevillé sur le pas de sa porte au
moment où elle sortait de l'épicerie. Elle se rappela soudain qu'elle n'avait
pas verrouillé la porte d'entrée. Au risque de chuter, le cœur battant la
chamade, elle s'empressa de traverser pour revenir chez elle.
— Qu'est-ce que
vous faites là, vous ? demanda-t-elle sèchement à l'intrus, incapable de savoir
s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme.
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Elle n'obtint
aucune réponse de l'amas de vêtements disparates dont ne dépassait que
l'arrière d'une tête couverte d'une tuque noire.
— Aïe ! Je vous
parle ! dit-elle plus fort.
La personne
sembla brusquement l'avoir entendue parce qu'elle se leva péniblement en
s'appuyant contre la porte. Laurette s'aperçut alors qu'il s'agissait d'une
femme de petite taille assez âgée. Son visage était rouge et ridé. Transie de
froid, elle semblait incapable de prononcer le moindre mot.
— Viarge, une
robineuse ! s'exclama Laurette en réprimant mal un mouvement de dégoût.
La femme eut un
geste apeuré devant sa colère et fit un pas pour s'esquiver. Laurette eut
soudain honte et allongea un bras pour la retenir.
— Allez-vous en
pas comme ça, lui ordonna-t-elle en ouvrant la porte. Entrez vous réchauffer
une minute. C'est pas un temps pour laisser un chien dehors.
La femme ne dit
pas un mot et entra.
— Ôtez vos bottes
et venez vous réchauffer proche du poêle, offrit Laurette en déposant dans
l'entrée le pain et la pinte de lait qu'elle venait d'acheter pour pouvoir
retirer son manteau.
La vieille femme
sembla avoir
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