Des rêves plein la tête
compris. Elle enleva ses bottes démodées et suivit Laurette dans
la cuisine.
— Approchez-vous
du poêle. Vous pouvez enlever votre manteau et votre tuque si vous voulez. Je
vais vous donner une bonne tasse de thé.
Le mère de
famille s'était attendue à voir une vieille couverte de toutes sortes
d'oripeaux, ressemblant aux vagabondes plus ou moins ivres qu'elle voyait
régulièrement au parc Bellerive. Elle fut surprise de découvrir qu'il n'en
était rien. La dame semblait très propre et ses cheveux
blancs étaient
soigneusement peignés. Elle portait une petite robe noire toute simple.
— Assoyez-vous et
réchauffez-vous un peu, dit-elle à son invitée en lui tendant une tasse de thé.
L'autre la prit
avec reconnaissance et but lentement. Elle restait muette, se contentant de
promener son regard dans la pièce.
— Voulez-vous
bien me dire ce que vous faisiez dehors à une température pareille ? finit-elle
par lui demander.
— Je me
promenais, répondit enfin l'autre d'une petite voix flûtée.
— Où est-ce que
vous restez ?
— Je le sais pas.
— Comment vous
vous appelez ?
— Amanda.
— Amanda comment?
La femme sembla
chercher durant un long moment avant d'avouer ne plus se souvenir de son
patronyme.
— Est-ce que ça
fait longtemps que vous marchez ?
— Pas mal
longtemps, avoua-t-elle. J'étais gelée. Je pense que j'ai perdu mon chemin. Je
sais pas comment m'en retourner, poursuivit-elle, en se mettant à pleurer
doucement.
— Inquiétez-vous
pas, la consola Laurette. On va ben finir par savoir où vous restez. En
attendant, est-ce que ça vous tente de rester avec moi ?
— T'es ben fine,
fit Amanda avec un sourire plein de reconnaissance. On est bien dans ta maison.
Il fait chaud.
La jeune femme
réalisa soudainement que le problème était compliqué. Elle ne pouvait tout de
même pas renvoyer dehors une dame gelée qui ne savait pas où aller. Elle ne
voulait pas non plus la laisser seule à la maison avec les enfants. Impossible,
dans ce cas, d'aller téléphoner à la
police chez
Comtois. Il ne restait donc qu'à attendre Gérard et voir ce qu'il y aurait à
faire.
Quelques minutes
suffirent pour qu'Amanda se sente parfaitement à l'aise. Mise à part son
amnésie, elle paraissait tout à fait normale. Quand Denise se réveilla, elle la
prit sur ses genoux et la berça en lui racontant une histoire. A un certain
moment, elle dit même à Laurette :
— Tu me
ressembles pas mal quand j'étais jeune. J'étais brune comme toi et je pense que
j'étais aussi une bonne mère de famille.
Laurette eut un
rire sceptique en l'entendant. Peut-être avait-elle été une bonne mère de
famille, mais elle avait du mal à imaginer que cette petite dame un peu chétive
ait un jour eu sa corpulence. Elle n'était pas aveugle au point de ne pas se
rendre compte que ses deux dernières grossesses lui avaient laissé un surplus
de poids appréciable.
Vers la fin de
l'après-midi, constatant que la visiteuse montrait des signes de fatigue,
Laurette poussa la sollicitude jusqu'à lui dresser un lit de fortune sur le
divan du salon.
Lorsque Gérard
revint de son travail, Amanda dormait encore. Voyant son air ahuri, sa femme
s'empressa de tout lui raconter.
— Veux-tu ben me
dire à quoi t'as pensé de laisser entrer une pure étrangère dans la maison ?
— Bonyeu !
J'étais tout de même pas pour la laisser crever dehors comme un chien. Elle
était dans notre entrée.
— A cette heure,
qu'est-ce qu'on va faire avec elle ?
— T'as juste à
aller appeler la police chez Comtois. Ils vont ben finir par trouver où elle
reste, cette pauvre femme.
Gérard remit son
manteau en rechignant et traversa à l'épicerie d'où il revint quelques minutes
plus tard.
— Ils s'en
viennent, se contenta-t-il de dire en s'assoyant dans sa chaise berçante. T'es
mieux d'aller la réveiller avant qu'ils arrivent.
Laurette
s'exécuta, lui présenta Gérard et lui offrit une nouvelle tasse de thé. Pendant
que la vieille dame buvait, son hôtesse lui apprit que son mari avait alerté la
police pour l'aider à retrouver l'endroit où elle demeurait. Amanda hocha la
tête sans faire de commentaires.
Elle eut à peine
le temps de finir de boire son thé qu'un bref coup de sonnette retentit. Deux
policiers entrèrent en secouant bruyamment leurs bottes et refermèrent la
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