Des rêves plein la tête
pas toute sa tête, expliqua la
religieuse, compatissante. Elle retombe doucement en enfance.
La jeune femme la
remercia et quitta l'hospice, passablement troublée. Arrivée chez ses parents,
il lui fallut quelques minutes pour se remettre du choc qu'elle venait de
subir. Elle raconta sa visite impromptue à ses parents.
— Je comprends pas.
Elle était pas si pire il y a juste deux semaines.
— C'est ça,
vieillir, lui dit doucement sa mère. T'en perds un peu tous les jours.
Le reste de
l'après-midi se passa dans la chaude atmosphère familiale que savaient
entretenir Annette et Honoré. Laurette s'en trouva bientôt réconfortée. Pendant
qu'elle
parlait de sa
grossesse et des petits bobos des enfants avec sa mère, Honoré et Gérard
s'entretenaient de la nouvelle qui annonçait l'intention de Mussolini d'envahir
l'Éthiopie alors que la guerre civile faisait des milliers de victimes en
Espagne.
i
Chapitre 14
Une grande perte
V
A la fin de ce
dimanche après-midi, le jeune couple déclina l'invitation à souper de leurs
hôtes car ils ne voulaient pas risquer de se retrouver dans un appartement
glacial. Les Morin rentrèrent à la maison au moment où l'obscurité tombait. À
leur arrivée, il ne restait que quelques tisons dans la fournaise. Gérard
s'empressa de l'alimenter en charbon et d'allumer le poêle à huile dans la
cuisine. Une bonne heure fut nécessaire pour réchauffer convenablement
l'appartement.
Cette nuit-là,
Laurette s'éveilla soudain avec la nette impression qu'elle était en train de
prendre un bain. Elle ouvrit les yeux dans l'obscurité, se demandant ce qui
avait bien pu la réveiller ainsi. Habituellement, elle dormait profondément et
seuls les pleurs de l'un ou l'autre de ses enfants pouvaient la tirer de son
sommeil. Une brusque contraction lui coupa alors le souffle. Elle agrippa son
ventre à deux mains et sentit un liquide chaud couler le long de ses cuisses.
— Ah non !
s'exclama-t-elle en réprimant un cri. Quand la contraction fut passée, elle
secoua son mari
qui dormait
paisiblement à ses côtés.
— Gérard! Gérard!
l'appela-t-elle, paniquée, en allumant la lampe de chevet.
— Quoi ?
Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il sans encore ouvrir les yeux.
— Lève-toi ! Fais
ça vite ! Je pense que je suis en train de perdre le petit !
— De quoi tu
parles, cybole ? fît-il en s'assoyant dans le lit, soudainement bien réveillé.
— Mes eaux
viennent de crever. Fais quelque chose !
— Mais je... ?
— Va appeler le
docteur. Dépêche-toi ! Avant de partir, pousse la bassinette du petit dans le
salon et fais attention de pas le réveiller.
Laurette,
tremblante, repoussa les couvertures.
— Où est-ce que
tu veux que je trouve un téléphone en plein milieu de la nuit? demanda Gérard
en revenant passer son pantalon rapidement après avoir installé le petit lit de
Jean-Louis dans l'autre pièce.
— Va frapper chez
Comtois. Ils vont ben finir par t'ouvrir, lui répondit sa femme dans un souffle
au moment où une seconde contraction lui coupait la respiration.
— OK. Bouge pas,
lui ordonna son mari qui venait tout à coup de saisir l'urgence de la
situation. Je reviens tout de suite.
De la chambre,
Laurette l'entendit chausser ses bottes et endosser son manteau. La porte
d'entrée claqua et elle se retrouva seule dans son lit souillé. Elle aurait
voulu se lever et changer la literie, mais elle ne s'en sentait pas la force.
Au bout de ce qui
lui sembla être une éternité, Gérard revint. Sans prendre le temps de retirer
son manteau, il entra dans la chambre et lui annonça qu'il était parvenu à
réveiller les Comtois qui avaient accepté de bon cœur de le laisser téléphoner au
docteur Miron. Ce dernier s'en venait.
— C'est correct,
dit Laurette, le visage blafard. Tu vas m'aider à changer le lit avant qu'il
arrive.
— Non, non. Tu
vas aller t'asseoir à côté de la fournaise et je vais le changer tout seul, lui
déclara Gérard en l'aidant à se lever.
Il lui apporta
une chaise et ajouta du charbon dans la fournaise avant de retourner dans la
chambre. La besogne terminée, il l'aida à revenir se mettre au lit et se posta
devant la fenêtre, dont il gratta nerveusement le givre pour guetter l'arrivée
du médecin. Il ne voulait pas lui laisser le temps de sonner et risquer ainsi
de réveiller les enfants qui
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