Des souris et des hommes
dit :
— Il s'appelle Lennie Small.
Les noms furent couchés sur le carnet.
— Voyons, nous sommes le vingt, midi,
le vingt.
Il ferma le carnet.
— Où avez-vous travaillé, tous les
deux ?
— Dans le Nord, à Weed, dit George.
— Toi aussi ? (à Lennie).
— Oui, lui aussi, dit George.
Plaisamment, le patron montra Lennie du
doigt.
— Il n'est pas très causant,
hein ?
— Non, pas très, mais, pour ce qui est
du travail, il en fout un coup. Fort comme un taureau.
Lennie se sourit à lui-même.
— Fort comme un taureau, répéta-t-il.
George lui jeta un regard sévère, et Lennie, confus, baissa la tête.
Le patron dit brusquement :
— Dis-moi, Small — Lennie
leva la tête, — qu'est-ce que tu sais faire ?
Affolé, Lennie, d'un coup d'œil, appela
George à son secours.
— Il peut faire tout ce qu'on lui
demande, dit George. Il sait conduire les mules, il peut porter des sacs de
grains, manier un scarificateur. Il peut faire n'importe quoi. Vous n'avez qu'à
essayer.
Le patron se tourna vers George.
— Alors, pourquoi ne le laisses-tu pas
répondre ? Qu'est-ce que t’as donc derrière la tête ?
George s'écria d'une voix forte :
— Oh ! j’dis pas qu'il soit
intelligent. Ça non. Mais je dis que, pour l'ouvrage, il en fout un coup. Il
peut soulever des charges de quatre cents livres.
Le patron, d'un air décidé, remit le
carnet dans sa poche. Il fourra ses pouces dans sa ceinture et ferma presque un
œil.
— Dis-moi un peu, qu'est-ce que tu
vends ?
— Hein ?
— Je dis combien d'argent as-tu mis
sur ce gars-là ? Est-ce que tu lui prendrais sa paie par hasard ?
— Bien sûr que non. Alors, vous vous
figurez que je cherche à le vendre ?
— Dame, j'ai jamais vu un type s'intéresser
autant à un autre. J’veux simplement savoir d'où vient ton intérêt.
George dit :
— C'est... mon cousin. J'ai promis à
sa mère que je m'occuperais de lui. Il a reçu un coup de pied de cheval dans la
tête quand il était gosse. Il est comme tout le monde. Seulement, il est pas
intelligent. Mais il peut faire tout ce qu'on lui demande
Le patron se tourna à demi.
— Dieu sait qu'on n'a pas besoin
d'être malin pour porter des sacs d'orge. Mais essaie pas de me rouler, Milton.
J’t'ai à l'œil. Pourquoi c'est-il que vous êtes partis de Weed ?
— L'ouvrage était fini, dit George
rapidement.
— Quel genre d'ouvrage ?
— On... on creusait un puisard.
— Ça va. Mais essaie pas de me
rouler, parce que j’me laisse pas faire. J'ai vu des malins avant toi. Après
déjeuner vous irez travailler au grain. On ramasse l'orge aux batteuses. Vous
partirez avec l'équipe de Slim.
— Slim ?
— Oui. Un grand roulier. Tu le verras
au déjeuner.
Il fit demi-tour brusquement et se dirigea
vers la porte, mais, avant de sortir, il se retourna et fixa longuement les deux
hommes.
Quand le bruit de ses pas se fut éloigné,
George se retourna vers Lennie.
— J’croyais que tu ne dirais pas un
mot. J’croyais que t'allais fermer ta trappe et me laisser le soin de parler.
Pour un peu on perdait notre place.
Lennie, navré, regardait ses mains.
— J'ai oublié, George.
— Oui, t’as oublié. T’oublies
toujours, et il faut que je te tire d'affaire.
Il se laissa tomber lourdement sur son
lit.
— Maintenant, il nous a à l'œil.
Maintenant, il va falloir faire attention à n' pas faire de gaffe. Tu vas
fermer ta trappe, après ça ?
Il s'absorba dans un silence mélancolique.
— George.
— Qu'est-ce que tu veux encore ?
— J'ai jamais reçu de coup de pied
dans la tête, dis, George ?
— Ça vaudrait bougrement mieux si t’en
avais reçu un, dit George méchamment. Ça épargnerait bien des emmerdements à
tout le monde.
— T’as dit que j'étais ton cousin,
George.
— Ben, c'était un mensonge. Et que j’suis
sacrement content que c'en était un. Si je t'étais parent, j’me foutrais une
balle dans la peau.
Il s'arrêta brusquement, s'avança vers la
porte ouverte et regarda au-dehors.
— Eh, toi, qu'est-ce que tu fous là à
écouter ?
Le vieux entra lentement dans la chambre.
Il tenait son balai à la main. Un chien de berger se traînait derrière lui, le
museau gris, avec des yeux pâles de vieux chien aveugle. Péniblement, le chien
s'en alla dans un coin de la chambre en boitant et se coucha avec un grognement
sourd. Puis il se mit à lécher son pelage gris et rogneux. Le vieux
Weitere Kostenlose Bücher