Des souris et des hommes
Les critiques s'empressèrent d'établir un parallèle
entre ces deux romans dont la seule ressemblance ne consistait, à vrai dire,
que dans le cynisme amusé des auteurs et l'impudique innocence des héros. Le
succès de Tortilla Flat fut tel que
Hollywood s'en assura les droits d'adaptation, et Steinbeck s'enfuit au Mexique
pour se soustraire à une publicité que sa modestie redoutait. Il revint quand
l'enthousiasme se fut un peu calmé. Hollywood avait abandonné ses projets de
film, et le public, informé par quelques articles, s'était déjà familiarisé
avec le nouvel écrivain qu'il ne regardait plus comme une bête curieuse.
Ce n'était plus un inconnu. On savait
maintenant qu'il était né en 1902, à Salinas, petite ville de Californie où,
chaque année, les cow-boys organisent de grands rodeos . Dès son jeune âge la vie l'emporte et le rudoie. Il travaille comme
garçon de ferme avant d'entrer à l'Université de Stanford où son indépendance
lui fait, à maintes reprises, abandonner le cours de ses études. A la salle de
classe il préfère les ranches de Salinas. Son énergie y trouve à s'employer et,
quand il veut lire, il le fait à sa fantaisie. Attiré par New York, il
s'embarque sur un cargo et s'arrête à Panama. C'est ensuite toute la variété
que New York peut offrir aux esprits qui aiment l'aventure. Steinbeck y fait un
peu de tout, depuis le reportage jusqu'au métier plus humble de maçon ;
puis il repart pour la Californie. On lui donne à garder une maison juchée dans
la Sierra Nevada, sur les bords du lac Tahoe. Dans cette solitude glacée,
enfoui pendant plusieurs mois sous la neige, il écrit Cup of Gold avec les souvenirs de son séjour à Panama. L'éditeur Mc Bride accepte
le manuscrit et, pour la première fois, Steinbeck va se voir publié. Cup of Gold n'était pas son premier roman. Il en avait déjà écrit trois. L'un d'eux
lui avait été renvoyé par tous ceux auxquels il l'avait présenté, les deux
autres n'étaient jamais sortis de ses tiroirs. Les trois manuscrits sont
aujourd'hui détruits.
Après avoir quitté la maison qu'il avait
en garde, il travaille quelque temps à l'élevage des truites dans un établissement
de pisciculture, puis, s'étant marié, il va s'installer sur la côte du
Pacifique, près de Carmel, colonie d'artistes rivale de Taos dans le New
Mexico. Il publie successivement The Pastures of Heaven (1932), To a God Unknown (1933) et enfin Tortilla Flat qui, du jour au
lendemain, le tire de l'obscurité et le met en vedette. In Dubious
Battle (1936) souleva quelques objections mais
valut à l'auteur la médaille d'or du Commonwealth Club de San Francisco. Of Mice and Men (1937) fut acclamé unanimement par la critique comme une réussite
parfaite. La même année, sous le titre The Red Pony , parurent trois nouvelles réimprimées, en 1938, dans un recueil de
contes, The
Long Valley .
John Steinbeck habite aujourd'hui la
petite ville de Los Gatos, à quelques kilomètres au sud de San Francisco. Il
n'en sort que pour de longs voyages, ou pour de brèves apparitions à New York.
De ses ancêtres allemands il tient un physique vigoureux et nordique. A ses
ancêtres irlandais il doit son sens de l'humour, son goût du mystérieux, et un
sentiment profond des valeurs poétiques. Son horreur de la publicité qui, au
lendemain de Tortilla Flat , le fit s'abriter au
Mexique, est déjà matière à anecdotes. Quand le Commonwealth Club de San
Francisco lui décerna la médaille d'or pour In Dubious Battle , il refusa de l'y aller chercher, et, à un dîner offert à New York, en
1937, en l'honneur de Thomas Mann, il s'éclipsa dès le second discours et alla
se réfugier seul dans le bar [2] . La première de l'adaptation théâtrale
de Of
Mice and Men se fit sans lui, à New York [3] , et il ne vit pas davantage la comédie
que Jack Kirkland tira de Tortilla Flat [4] . Ce que cache cette sauvagerie, l'œuvre de Steinbeck est déjà assez
importante pour nous le dévoiler. Des traits communs unissent romans et
nouvelles qui, par ailleurs, présentent une variété révélatrice d'une
imagination fertile servie par un sens aigu d'observation et un métier qui,
chaque fois, s'affirme plus solide.
Cup of Gold (1929) n'est qu'une longue vie romancée de Sir Henry Morgan, pirate
anobli par le roi Charles II. Ce sont d'abord ses années d'enfance dans les
brumes du Pays de Galles, entre sa grand-mère, Gwenliana, qui jouit du don de
seconde vue, et
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