Des souris et des hommes
vices
inhérents à la littérature de combat. Il reste avant tout romancier, comme Zola
dans Germinal . Il n'atteint jamais, du reste, à la grandeur du maître de Médan, mais il
brosse quelques tableaux vigoureux de rencontres sanglantes entre grévistes et
renards, d'incendies de propriétés privées et autres violences habituelles aux
convulsions sociales. Exact dans la psychologie du groupe, il devient
extrêmement faible quand il s'agit des individus. Steinbeck n'a pas évité le
danger de faire de son apôtre communiste un génie omniscient qui va jusqu'à
accoucher une femme comme le plus expert des gynécologues tout en admettant
que, jusqu'alors, il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il fallait faire pour
mettre un enfant au monde. Mais une sorte de Saint-Esprit « rouge »
opère sans cesse en lui et il en communique la flamme à un disciple aimé, Jim
Nolan, au zèle trop comique pour être irritant. (Blessé à l'épaule, lorsque Mac
lui explique que, afin de raviver l'ardeur des grévistes, il leur faudrait la
vue du sang, Jim offre aussitôt d'arracher son bandage afin de leur montrer
l'hémorragie qui en résultera.) In Dubious Battle déplut aux communistes, certaines pages étant, paraît-il, incompatibles
avec la pure orthodoxie. Les esprits conservateurs n'aimèrent point le livre
davantage car ils trouvèrent que l'héroïsme se trouvait trop constamment du
mauvais côté. C'était l'éternelle histoire du Meunier, son Fils et l'Ane . Steinbeck écouta La Fontaine. Il laissa les deux camps se calmer, et
l'harmonie se rétablit, l'année suivante, quand parut l'admirable Of Mice and Men .
La perfection de ce roman très bref
vient sans doute du fait qu'au cours des années précédentes, John Steinbeck
avait conjuré ses démons. Son romantisme débridé avait imprégné Cup of Gold ; son panthéisme s'était tari dans To a God Unknown ; son humour avait explosé dans Tortilla Flat , et sa mystique libertaire lui avait dicté In Dubious Battle . De ces quatre produits, soigneusement décantés, ne restait que la
quintessence d'où naquit Of Mice and Men . Le titre est
emprunté à un poème de Robert Burns [6] : « The best laid schemes o'mice an'men gang aft
a-gley », « les plans les mieux conçus des souris et des hommes souvent ne se
réalisent pas ». Ainsi George et Lennie n'auront jamais la petite ferme
dont ils avaient pourtant si bien imaginé tous les détails. On ne sait ce qu'il
convient de louer davantage dans ce petit chef-d'œuvre d'intense sobriété. Tout
y est à sa place et il n'y a pas un mot de trop. La rudesse indispensable n'y
prend jamais l'allure de basse vulgarité ; le réalisme des personnages est
voilé par la poésie du rêve ; la sentimentalité s'arrête juste au moment
où l'on pourrait craindre qu'elle ne devînt de la sensiblerie, et la couleur
locale, très pittoresque, sait éviter les tons criards de la carte postale en
couleurs. Quant au récit, il est mené avec une rapidité qui tient plus de l'art
dramatique que du roman. Aussi Steinbeck a-t-il pu transporter son drame sur la
scène sans en rien modifier et la nouvelle œuvre, sous les lumières si
dangereuses de la rampe, a gardé toute sa vérité et toute son émotion.
Of Mice and Men plaça définitivement Steinbeck au premier rang des écrivains de sa
génération. The Red Pony , publié, quelques
mois plus tard, en édition de luxe limitée à 699 exemplaires autographiés, ne
fit que raffermir la position de son auteur. C'est un récit en forme de
triptyque dont les volets avaient déjà paru dans la North American Review et Harper's Magazine . La première
nouvelle, The Gift , raconte l'amour du petit Jody pour le
poney dont son père lui a fait cadeau, la maladie de l'animal et sa mort après
une trachéotomie pratiquée par Billy Burk, le cow-boy en qui Jody a mis toute
sa confiance. Moins physiologiquement réaliste, The Great Mountains évoque le pays mystérieux d'où arrive un « paisano », qui, un
beau jour, disparaît avec un vieux cheval que le père de Jody ne pouvait se
décider à vendre. Avec The Promise , nous retrouvons un
naturalisme brutal, depuis la description de l'accouplement de Nelly, la belle
jument, avec l'étalon auquel Jody l'a conduite, jusqu'à la mort de l'animal, à
la naissance du poulain. Comme d'habitude, le décor de ces trois nouvelles est
un ranch californien dans la région de Salinas.
L'œuvre de Steinbeck est avant tout
l'œuvre
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