Dieu et nous seuls pouvons
titre et se montrait plus
soucieux de dissiper ses importants revenus que du sort matériel ou spirituel
de ses ouailles. Il laissait cela à son chanoine et préférait se consacrer aux
chevaux et aux femmes qu’il sélectionnait selon des critères identiques (pour
être bonne, une jument ou une femme se devait de posséder une poitrine large,
une croupe remplie et le crin long).
— Que me débagoulez-vous
là ! s’exclama-t-il sans pour autant interrompre sa besogne. Comment
pourrais-je trancher une telle question ? Que les Crespiaget écoutent leur
conscience et disposent de leur bran comme elle le leur dictera.
*
Pierre Galine marchait sur le chemin
de Routaboul, son village natal, quand les archers de la maréchaussée le
rattrapèrent et l’arrêtèrent sans qu’il offrît la moindre résistance. Ils
l’enchaînèrent et le ramenèrent à bride abattue à Bellerocaille où, après un
bref interrogatoire du prévôt, on l’enferma dans la prison seigneuriale.
L’attirance malsaine que suscitait
l’originalité de son forfait dépassa les limites du bourg. On vint de Rodez, de
Millau mais aussi de Villefranche et même de plus loin. Bientôt les auberges
affichaient toutes complet.
Les premiers retards surgirent
lorsque le sénéchal du Sallay, de la justice du Roi, prétendit dessaisir le
juge seigneurial Cressayet, de la justice du baron, sous prétexte qu’une
affaire de cette importance relevait de sa juridiction. Il essuya un refus sec
du baron Raoul, fort sourcilleux sur le chapitre.
Soupçonnant l’officier royal de ne
pas en rester là, le baron accéléra la procédure. Galine fut jugé le
surlendemain par son tribunal et le verdict qu’il dicta au juge fut à la
hauteur de l’indignation populaire : Pierre Galine serait roué vif, puis
exposé jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le public nombreux avait applaudi.
De nouvelles complications
apparurent quand il fallut appliquer la sentence.
Deux siècles plus tôt, le roi
Charles VII, désireux de mettre de l’ordre parmi les trois cent soixante
et quelques codes de justice ayant cours dans le royaume, avait signé une
ordonnance de cent vingt-cinq articles. L’un de ces articles interdisait aux
juges d’exécuter eux-mêmes leurs sentences comme c’était encore le cas dans de
nombreuses provinces. De cet article naquit la profession de bourreau. Or, bien
qu’autorisé par décret du Roi à porter le titre de haut justicier donnant droit
de prononcer des condamnations capitales, le baron Raoul ne s’était jamais
résolu à entretenir un exécuteur à plein temps. Si le besoin se présentait
(comme en ce cas précis), il faisait appel aux services de Maître Pradel, un
boucher ruthénois qui cumulait son état avec celui d’exécuteur des hautes
œuvres du comte-évêque de Rodez.
*
Un courrier partit en fin de matinée
et chevaucha les onze lieues séparant le bourg de la capitale en six heures.
Quand le lendemain il revint à Bellerocaille, il était seul.
— Maître Pradel est
indisponible. Il a la goutte et il ne peut se mouvoir. J’ai demandé à son valet
mais il n’est pas commissionné pour le remplacer.
Il restait Maître Sylvain,
l’exécuteur albigeois, ou Maître Cartagigue de Millau. Bien que ce dernier fût
le plus proche, il était hors de prix. Le prévôt expédia donc son messager à
Albi.
L’homme galopait dans la forêt des
Ribaudins lorsqu’il heurta une corde tendue en travers d’une courbe du chemin.
Bienheureusement assommé, il ne vit pas les brigands s’approcher et l’égorger.
Après l’avoir entièrement dépouillé, ceux-ci tirèrent son cadavre nu dans un
fourré où quelques heures plus tard des loups le découvrirent et le dévorèrent
avec un bel appétit.
*
Cinq jours passèrent avant que le
baron ne se décide à réunir son conseil, y conviant de mauvaise grâce le
sénéchal.
— J’ignore ce qu’il a pu
advenir de notre messager mais nous n’avons plus le temps d’en dépêcher un
autre, prévint le prévôt Henri de Foulques. Le bourg est envahi, ceux venus
pour le procès ne sont pas repartis et attendent l’exécution. Les esprits
s’échauffent et des rumeurs circulent.
— Des rumeurs, quelles
rumeurs ?
— On dit que le condamné
bénéficierait de hautes protections et qu’il ne sera jamais roué.
Le front bas du baron Raoul se
plissa sous sa perruque poudrée. Ses yeux sombres fortement encavés dans leurs
orbites
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