Dieu et nous seuls pouvons
moi,
monsieur Pibrac ?
— Faites revenir la
chancellerie sur sa décision. Faites-leur comprendre que s’appeler Pibrac en
Rouergue est un préjudice quotidien. C’est comme si vous vous appeliez
Ravaillac ou Troppmann.
— Mais votre père n’est ni
régicide, ni assassin, du moins tel que l’entend la loi.
— Avec ce qu’il a fait
récemment, on peut se le demander.
— Comme vous y allez !
J’ai suivi cette affaire comme tout le monde et je puis vous assurer qu’un
avocat stagiaire serait en mesure de démontrer que votre père a été égaré par
la douleur.
Sa curiosité éveillée par la
personnalité de son visiteur, l’avocat consentit à s’occuper de son affaire.
Lui aussi, autrefois, avait été menacé par sa nourrice d’être croqué vif par le
Pibrac s’il ne terminait pas sa soupe.
*
Héritier d’une famille de
propriétaires terriens enrichis sous la Révolution par l’achat de biens
nationaux, Nicolas Malzac aurait pu mener une existence paisible et s’adonner
entièrement à sa passion, qui était les antiquités, si dès son enfance il ne
s’était découvert un goût pour la chicane et l’embrouille qui l’incita à
entreprendre des études de droit.
Malzac devait sa notoriété à un
procès qu’il avait lui-même intenté à la puissante Société des chemins de fer
après qu’un contrôleur eut poinçonné son ticket. Après avoir démontré avec brio
qu’une fois acheté ce ticket devenait la propriété inaliénable de son
possesseur au même titre qu’une maison, un cheval de course ou un timbre-poste,
Malzac avait accusé la Société de dégradation de bien privé et lui avait
réclamé une forte indemnisation.
— Si la loi vous autorise à
contrôler les titres de transport des usagers, elle ne vous autorise nullement
à faire un trou à l’intérieur.
Il avait gagné son action et obtenu
en dédommagement un coupe-file à vie l’autorisant à voyager gratuitement sur
l’ensemble du réseau (trente-six mille kilomètres).
*
Dans un premier temps, l’avocat
albigeois chercha la faille dans le dossier de Léon. Ne trouvant rien, il lut
et relut les textes de la réglementation, puis il éplucha les archives, en
quête de précédents, élargissant ses recherches à la profession d’exécuteur. Le
peu d’éléments qu’il trouva le laissèrent perplexe.
Alphonse Chopette, l’ancien
exécuteur départemental à la retraite depuis le décret Crémieux de 1870, refusa
de le recevoir. Malzac dut faire intervenir son oncle le procureur pour qu’il
sorte de sa réserve.
Le vieil homme lui conta alors un
bon nombre d’histoires à se réveiller la nuit en grinçant des dents. Questionné
sur les Pibrac, il n’eut que des éloges à leur égard.
— Ce que le Septième a fait à
ce Thomas est exemplaire. C’est ainsi que l’on devrait tous les couper. Qu’ils
voient la mort leur arriver dessus. Parfaitement ! Moi, à sa place, si on
m’avait tué ma famille, j’en aurais fait autant. On dit qu’il a eu le temps de
cagader dans son froc. Eh bien, moi, je dis : bravo, Hippolyte !
Guère plus avancé, Malzac prit le
train pour Rodez où il consulta les archives judiciaires. Pour se détendre, il
visita ensuite quelques antiquaires et brocanteurs, achetant une édition de
1637 du Discours de la méthode habillée d’une reliure en veau brun très
simple.
Il se rendit ensuite à Bellerocaille
et loua un voiturier qui le déposa rue du Dragon, devant la
boulangerie-pâtisserie Arsène Bouzouc.
— Vous auriez dû me prévenir de
votre visite, je serais venu vous accueillir à la gare, lui reprocha Léon en
l’invitant à le suivre au salon du premier étage.
Hortense en personne leur servit du
porto accompagné d’une assiette de dattes fourrées aux amandes, la dernière
nouveauté de la maison.
— Alors, maître, du neuf ?
finit par demander Léon d’une voix pleine d’espoir.
— Il est encore trop tôt. Pour
l’heure, je m’efforce de réunir des faits, ce qui m’amène au motif de ma
visite. J’ai besoin d’en savoir plus sur votre famille.
— Que voulez-vous savoir ?
dit Léon à contrecœur.
— A vrai dire, je l’ignore.
Contez-moi par exemple votre enfance. Dans quelles conditions avez-vous été
élevé ?
— Je n’aime pas parler de ces
choses-là. Est-ce bien nécessaire ?
— Peut-être… je ne saurais le
dire pour l’instant. Avez-vous des frères, des sœurs ?
— Nous
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