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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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nous seuls pouvons. Le champ
du canton dextre de pointe contenait une pyramide de têtes de morts ricaneuses
et le canton senestre de pointe, une potence avec son échelle.
    L’écriture était grande, droite,
nette, sans faute. L’ancien bourreau le conviait à venir « quand bon vous
semblera », mais il se montrait réservé sur l’issue de son projet :
« Quoique vous écriviez, même la vérité, rien ne changera dans les
mentalités. Le préjugé est l’apanage de notre charge et ne disparaîtra qu’avec
le dernier des nôtres. Ce qui, en dépit du décret Crémieux, n’est pas pour
demain. »
    Malzac reprit le train pour
Bellerocaille. Un voiturier le conduisit à l’auberge Au bien nourri où Léon lui
avait conseillé de descendre (« la meilleure table de la cité »). On
lui présenta une chambre prolongée d’up pompidou donnant sur la place, qu’il
accepta. Il loua ensuite un cabriolet aux messageries Cabrel et se fit indiquer
par le loueur le chemin de la croisée du Jugement-Dernier.
    — Vous allez voir le
dolmen ?
    — Non, je vais à l’oustal
Pibrac.
    — Ah, fit l’homme en hochant la
tête.
    L’avocat descendit la rue Droite
encombrée, reconnaissant au passage la rue du Dragon où se trouvait son client.
Il sortit de la ville par le pont de la République et se dirigea vers le bois
d’ormes.
    La taille du dolmen trônant au
centre du carrefour l’épata. Il descendit du cabriolet pour en faire le tour.
Dans sa jeunesse, lors d’excursions estivales, il avait traversé la vallée de
la Muze où abondaient les dolmens, mais jamais il n’en avait rencontré de cette
dimension. La dalle supérieure mesurait près de six mètres. Comment s’y
étaient-ils pris pour la hisser ainsi à deux mètres du sol ? Puis il
s’intéressa au mur d’enceinte surmonté de ce qu’il identifia comme
d’authentiques lames de pertuisanes du XVII E siècle.
    Malzac tira sur une chaîne qui
actionna une cloche invisible. Il admirait les vantaux cloutés quand l’un d’eux
s’ouvrit sur un grand vieillard au crâne chauve, à l’exception d’une couronne
de cheveux blancs, qui le dévisagea d’un regard aussi chaleureux qu’un courant
d’air. Un gros chien l’accompagnait.
    L’avocat se présenta. Les traits du
valet se détendirent.
    — Entrez, je vous prie.
    Il tira le second battant pour faire
place au cabriolet. Malzac découvrit l’oustal et reconnut le manoir aux tours
rondes du blason. Il aperçut aussi le grand parc dont on ne voyait pas la fin,
un bosquet d’arbres, une prairie où paissaient une vache et des chevaux, une
mare où s’ébattaient des canards, mais aussi deux gros porcs.
    Abandonnant son véhicule dans la
cour, Malzac suivit Casimir en haut d’un escalier extérieur conduisant au
premier étage et pénétra dans une salle baignée de lumière qui le laissa muet
d’étonnement. C’est à peine s’il entendit le vieux valet l’inviter à s’asseoir
en attendant que le maître des lieux soit prévenu de sa visite.
    Laissé seul, l’avocat fit quelques
pas, allant de surprise en surprise devant l’extravagant mariage réussi de
rustique et de raffiné, de moellons de grès nus et de coûteuses boiseries.
    « Cette table vaut une
fortune », se dit-il après s’être assuré que le plateau de chêne de trois
mètres cinquante de long était d’un seul tenant. Les piétements de noyer en
éventail représentaient des griffons se déchirant.
    Malzac s’intéressa ensuite à
l’imposante cheminée, assez grande pour rôtir un cheval et son cavalier, au
linteau blasonné et à la très belle plaque de fonte « aux armes ».
Mais son cœur s’emballa quand il lut sur le cartel surmonté d’une mort
brandissant sa faux les signatures de Liautaud et Le Roy, les plus célèbres
horlogers du XVII E siècle. Les seuls qui eussent pu rivaliser avec
lui, il les avait vus à Versailles.
    Le fauteuil Louis XIV en noyer
tourné que lui avait indiqué Casimir était recouvert d’une tapisserie d’origine
au petit point montrant deux chevaliers en armure entourés de petits animaux et
de volatiles sur fond de semis de fleurs. Malzac aurait donné là, tout de
suite, cent francs-or pour posséder un tel siège. Plus même.
    Dans un vaisselier Louis XV, il
vit des rangées d’assiettes en faïence de Moustiers décrivant toutes sortes de
supplices, de la roue à l’estrapade, en passant par le pal, l’écartèlement, la
potence et le bûcher.

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