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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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était lisible. Malzac se
pencha : il s’agissait d’une lettre de commission d’exécuteur en chef au
nom d’Hippolyte Pibrac.
    Le huitième et dernier tableau de
cette galerie d’ancêtres montrait Hippolyte, tout aussi déterminé mais guère
plus âgé que sur le précédent, posant fièrement à côté de la guillotine, une
main sur la manette, l’autre tenant un bout de tissu. Tête nue, imberbe, il
était superbe dans sa redingote en velours pourpre, chemise blanche à jabot
brodée, culotte noire, bottes noires à revers rouge vif. Un revolver était
enfoncé dans un ceinturon à boucle d’argent ciselée. Comme pour le septième
tableau, il n’y avait pas de plaquette de cuivre sur le cadre.
    — Vous étiez fort jeune, dit
l’avocat à son hôte resté silencieux durant son inspection.
    — Je venais de fêter mes
quatorze ans… Mais voici Casimir. Venez, allons nous asseoir.
    Malzac but, dans un gobelet émaillé
sur lequel était peinte la prise de Jérusalem par la première croisade, un vin
rouge qui, à l’instar de tout ce qui l’entourait, se révéla d’excellente
qualité. Hippolyte, lui, buvait de l’eau dans un gobelet similaire, mais
décrivant au pennon près la prise d’Antioche par Bohémond et Raimond de
Toulouse.
    — Monsieur Malzac, je vous
écoute, finit par dire Hippolyte.
    Malzac s’éclaircit la voix avant de
broder une histoire sur les raisons qui l’avaient poussé à écrire un livre sur
le métier d’exécuteur.
    — Dans un premier temps, mon
intention était de rédiger une histoire générale, mais ma rencontre avec votre
homologue albigeois, M. Chopette, m’a fait changer d’avis. Je me suis convaincu
qu’il serait bien plus explicite d’illustrer mon propos à partir de l’histoire
exhaustive d’une famille. Ou, dirai-je, d’une dynastie, car il s’agit bien
d’une dynastie en ce qui vous concerne.
    Il eut un geste englobant les
tableaux.
    — Nous sommes effectivement
l’une des rares familles à avoir été commissionnées pendant sept générations
consécutives. Chopette est un bingre qui n’aurait pas eu grand-chose à vous
conter.
    — Un bingre ?
    — C’est ainsi que nous
désignons les familles en exercice depuis moins de cent ans. Chaque profession
a son jargon, la nôtre n’échappe pas à la règle.
    — Tous vos ancêtres se
prénomment Justinien. Vous êtes la seule exception…
    — Tous les aînés sont ainsi
baptisés, c’est notre tradition. Moi, j’étais un cadet, et si mon frère ne
s’était pas tué sans laisser de descendance, ce serait lui qui serait ici, en
face de vous, et non moi.
    — Votre frère s’est
suicidé ?
    — Suicidé ? Quelle drôle
d’idée ! Non, il s’est tué accidentellement durant une exécution. Comme il
était célibataire, l’office me revenait mais je n’avais pas quatorze ans et
aucune expérience des hautes œuvres. Sans l’intervention de ma mère Clémence,
je n’aurais jamais été commissionné et la charge nous aurait échappé. C’est
pour ça qu’elle figure dans la galerie.
     
    *
     
    L’annonce de la mort du Sixième
avait frappé l’oustal de plein fouet.
    — Que m’acontez-vous là,
malheureux ! s’était écriée Clémence en fixant Victor et Casimir, les
valets d’échafaud qui pleuraient.
    — Ça s’est passé très vite. Il
a fait un pas en arrière de trop, il est tombé de l’échafaud et s’est brisé le
cou sur les pavés. Il est mort sur le coup.
    Décidément, cette année 1850 se
révélait particulièrement néfaste pour la famille. D’abord le Cinquième, qui
disparaissait prématurément après avoir été mordu par un renard lors d’une
partie de chasse, et maintenant le Sixième, son fils. Un mois plus tôt, il
avait fêté ses dix-huit ans et voilà que, faute de descendant direct, il
laissait l’office vacant pour la première fois depuis cent soixante-sept ans.
Tous les regards s’étaient portés sur Hippolyte, son frère.
    Une fois le Sixième dans la crypte,
Clémence s’était rendue à la préfecture de Rodez pour réclamer le
commissionnement de son fils cadet.
    — Vous déraisonnez, madame, ce
n’est qu’un moutard, s’indigna le préfet à la vue du gamin.
    — Mais c’est un Pibrac,
monsieur le préfet, il apprendra vite, je vous le garantis. En attendant,
l’intérim sera assuré par Félix et son fils Casimir, nos valets, qui sont fort
compétents.
    Récemment nommé, peu au fait des us
et coutumes,

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