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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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mangea distraitement, l’esprit
occupé par ce qu’il venait de voir et d’entendre, doutant par instants.
« Ai-je bien vu une collection de nez et une autre de cols de
chemise de condamnés à mort ? » Une fois hors des murs de l’oustal,
on pouvait se le demander.
    Il relut ses notes et dressa une
liste de questions qu’il avait omis de poser, envisageant pour la première fois
la possibilité d’écrire vraiment un livre.
    Son intérêt, qui était manifeste,
avait plu au vieux bourreau qui était devenu intarissable, ponctuant ses
anecdotes de « vous êtes le premier en dehors de la famille à qui je raconte
ça ».
    Le lendemain, malgré un ciel bas et
menaçant, l’avocat retourna à l’oustal Pibrac où il passa la journée, déjeunant
d’un succulent aligot de lièvre préparé et servi par Casimir dans un plat en
porcelaine de Limoges qui une fois vidé révéla un saint Laurent sur son gril de
toute beauté.
    Ils buvaient un café corsé aussi
agréable à goûter qu’à humer quand Hippolyte mentionna pour la première fois
l’existence des Mémoires.
    — Il est dans notre tradition de tenir un journal. Nul la dies sine linea. Chacun de mes
prédécesseurs s’y est tenu. Moi même, chaque soir.
    « Nous y voilà », pensa
Malzac en se composant une mine étonnée.
    — Cela doit représenter une
quantité impressionnante de volumes.
    — Je ne vous le fais pas dire.
    — Où sont-ils ? Puis-je
les voir ?
    Marquant un temps d’hésitation,
Hippolyte finit par se lever pour le conduire dans un vaste bureau-bibliothèque
aux trois murs garnis de livres. Le dernier mur était occupé par un bureau
haute époque et une grande et large armoire Renaissance à deux corps en noyer
sculpté. Hippolyte l’ouvrit, dévoilant des rangées de manuscrits reliés de
maroquin fauve ; le nom de leurs auteurs était gravé sur la tranche. Déjà
il refermait les battants.
    — Vous n’allez pas m’en montrer
quelques-uns ?
    — Non, monsieur Malzac, la tradition l’interdit. Le contenu de ces Mémoires ne peut être divulgué en
dehors du cénacle familial.
    L’avocat prit bonne note que
l’armoire n’était pas fermée à clef, ni d’ailleurs la porte du
bureau-bibliothèque.
    — Avez-vous assisté à une
exécution ? lui demanda plus tard Hippolyte.
    — Non.
    — Vous n’avez donc jamais vu de
guillotine ?
    — En gravure seulement.
    — Fort bien, nous allons vous
en montrer une.
    Ils sortirent de l’oustal,
traversèrent la cour et entrèrent dans une remise abritant toutes sortes de
véhicules. Il y avait même une chaise à porteurs en bois doré du XVII e siècle en assez bon état.
    — C’est l’une de celles de
notre ancêtre fondateur, expliqua Hippolyte qui avait suivi son regard.
    Ils allèrent ensuite dans une
seconde remise, attenante à la première, où il vit des coffres. Casimir les
ouvrit. Malzac regarda et dit :
    — Vous l’avez rachetée à
l’État ?
    — Pas du tout, elle nous
appartient depuis 1791. C’est le Vengeur, Justinien le Troisième, qui l’a
construite d’après le modèle officiel de Tobias Schmidt que lui avait expédié
Paris. Un modèle qu’il a considérablement amélioré. Je peux vous citer neuf
modifications qui font de notre mécanique la plus fonctionnelle, la plus
légère, la plus fiable de toutes les mécaniques. Et puis, tenez, puisque nous y
sommes, nous allons vous la monter, ainsi vous saurez de quoi il retourne quand
vous écrirez sur elle.
    Bien qu’il tentât de les en
dissuader, les deux vieux se mirent aussitôt à la tâche. Comme la pluie
menaçait, ils s’y attelèrent dans la remise, avec des gestes précis,
coordonnés, exempts de tout effort inutile.
    — Combien ? demanda
Hippolyte une fois l’engin dressé au centre.
    Casimir consulta sa montre.
    — Vingt-huit minutes.
    Se tournant vers Malzac qui les
regardait avec fascination, il fit d’une voix dégoûtée :
    — Avant, nous en aurions mis
moins de vingt.
    Il lui montra comment s’armait le
couperet et, pour illustrer son propos, le déclencha. La lame tomba comme un
éclair, produisant un chuintement sec en heurtant les coussinets des amortisseurs.
    — Sitôt le cou tranché, le
corps est basculé dans un panier placé là où vous vous trouvez. C’est à la
vitesse et au sang répandu qu’on reconnaît un bon exécuteur d’un moins bon.
    Malzac eut une mimique
d’incompréhension. Hippolyte s’expliqua :
    — Si vous

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