Dissolution
Mark. Je regrette sincèrement ce
qui s’est passé.
— Tu as de la chance. Il est rare que les gens de notre
condition obtiennent une seconde chance. Pas après ce genre d’écart de conduite.
— Je le sais bien. Mais elle était délurée, monsieur. »
Il fit un pâle sourire. « Et je ne suis pas de bois.
— C’était une tête de linotte. Tu risquais de la mettre
enceinte.
— Dans ce cas, je l’aurais épousée si nos positions
respectives l’avaient permis. Je suis un homme d’honneur, monsieur. »
Je mis un morceau de poulet dans ma bouche et agitai mon
couteau dans sa direction. Il s’agissait d’un vieux sujet de discussion.
« Sans doute, mais tu es un nigaud et un étourdi. La
différence de rang est fondamentale. Allons, Mark ! Voilà quatre ans que
tu es au service de l’État. Tu sais comment fonctionne le système. Les
roturiers comme nous doivent savoir rester à leur place. Des hommes de basse
extraction tels Cromwell et Rich sont montés très haut au service du roi »
mais seulement parce que tel est son bon plaisir. Il peut les rejeter d’un
moment à l’autre. Si le chambellan en avait informé le roi plutôt que lord
Cromwell, tu aurais pu te retrouver à la Tour, après une séance de fouet qui
aurait risque de te laisser des marques à vie. Je craignais que cela ne se
produise, tu sais. » En effet, cette affaire m’avait fait passer plusieurs
nuits blanches dont je ne lui avais jamais parlé.
Il avait l’air abattu. Je me lavai les mains dans la coupe
remplie d’eau placée sur la table.
« Bon ? Cette fois l’affaire a des chances d’être
oubliée, dis-je d’un ton plus doux. Parlons travail ! As-tu préparé les documents
afférents à l’acte translatif de Fetter Lane ?
— Oui, monsieur.
— Je vais les regarder après le dîner. J’ai aussi d’autres
papiers à étudier. » Je reposai ma serviette et plongeai mon regard dans
le sien. « Demain, nous devons nous rendre sur la côte sud. »
J’expliquai notre mission, sans évoquer son importance
politique. Il écarquilla les yeux quand je lui parlai du meurtre. Déjà l’enthousiasme
irréfléchi de la jeunesse s’emparait à nouveau de lui.
« Il peut s’agir d’une mission dangereuse, l’avertis-je.
Nous n’avons pas la moindre idée de ce qui se passe là-bas. On doit s’attendre
à tout.
— Vous avez l’air soucieux, monsieur.
— C’est une lourde responsabilité. Et, franchement, en
ce moment, au lieu de me rendre dans le Sussex je préférerais rester ici. Au-delà
du Weald, le paysage est désolé, soupirai-je. Mais, tel Isaïe, nous devons
aller nous battre pour Sion.
— Si vous réussissez, lord Cromwell vous récompensera
généreusement.
— Oui. Et cela me conserverait sa faveur. »
Il leva les yeux, surpris par mes paroles. Je décidai qu’il
serait sage de changer de sujet.
« Tu n’as jamais été dans un monastère, n’est-ce pas ?
— Non.
— Puisque tu as fréquenté une école publique, tu n’as
pas joui du privilège douteux d’être l’élève d’une école diocésaine. Les moines
connaissaient à peine assez de latin pour pouvoir comprendre les volumes
anciens dont ils se servaient pour enseigner. Heureusement que j’étais assez
naturellement doué, autrement je serais aussi illettré que Joan.
— Les monastères sont-ils vraiment aussi corrompus qu’on
le dit ?
— Tu as vu le Livre noir, qui contient des extraits des
inspections et que l’on colporte un peu partout ?
— Oui, comme la plupart des Londoniens.
— En effet. Les gens raffolent des histoires de moines
paillards. » Je me tus comme Joan apportait de la crème renversée. « Mais
oui, ils sont réellement corrompus, repris-je après son départ. La règle de
saint Benoît – que j’ai lue – prescrit une vie réduite au strict nécessaire, une
existence séparée du monde et consacrée à la prière et au travail. Et pourtant,
leurs terres leur fournissant de juteux revenus, le plus souvent ces moines
habitent de magnifiques bâtiments, servis par des domestiques, et sont perclus
de vices.
— On dit que les chartreux vivaient de manière austère
et qu’ils ont chanté des hymnes à cœur joie quand on les a emmenés pour être
étripés à Tyburn.
— Oh ! quelques ordres observent les règles. Mais n’oublie
pas que les chartreux ont péri parce qu’ils ont refusé de reconnaître le roi
comme chef de l’Église. Tous les moines
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