Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
il tient son maître à sa merci. Autour, les hommes se rassemblent. C’est le début d’une rixe. Lanteaume parvient à se dégager. Il se redresse et menace son lieutenant : Je te tiens pour responsable, si elle y passe, je t’envoie danser au bout d’une corde ! Main-gauche sort un poignard. Lanteaume n’a pas le temps de saisir le sien que le coup est parti. La lame est passée à un cheveu du chef de meute pour se planter juste derrière lui, dans le tronc d’un arbre. Main-gauche a du répondant : Tu es le maître, Lanteaume, mais je ne suis pas ton chien, ni ton larbin. Je me suis fait surprendre.
Il n’a pas le loisir de terminer sa phrase. Éliane est là.
— Eh ben, c’est beau, tiens ! Hier encore vous étiez comme deux frères, et maintenant, à couteaux tirés !
Ma parole, l’âme du clan, c’est elle. Il suffit qu’elle ouvre la bouche ou qu’elle montre le poing pour que tout rentre dans l’ordre.
— À mon tour de mettre les choses au clair, dit-elle, si vous ne vous réconciliez pas sur-le-champ, c’est moi qui débarrasse le plancher ! On est quittes, Lanteaume. Je peux partir quand je veux.
La femme garde un instant de silence. Un souffle semble dissiper les colères. Elle reprend :
— Margaux vient d’ouvrir les yeux. Mais elle a de la fièvre. Beaucoup de fièvre. J’ai besoin de paix et elle aussi. Toutes vos querelles, c’est de l’huile qu’on jette sur le feu, et moi le feu je dois l’éteindre. À bon entendeur ne faut qu’un mot.
La guérisseuse s’en va. Elle sait qu’on va lui obéir. Elle n’a pas besoin de le constater. En effet les deux hommes ont rengainé leurs couteaux. Ils se serrent la main, un peu honteux.
— Je ne te demande pas ton pardon, Lanteaume, dit Main-gauche, mais une seconde chance.
— Ça va, lui dit-il. N’en parlons plus. Pour le reste, si tu les connais, fais donc des prières. Margaux en aura besoin.
Voisin de chambre
Lanteaume et Main-gauche se rapprochent de moi. Hélas, je vais entretenir la division. Maintenant, Main-gauche veut des réponses à ses questions. Et il en a plus d’une. Lanteaume parle à ma place, lui racontant l’histoire que je viens de lui inventer. Main-gauche fait profil bas. Je lui ai coupé l’herbe sous le pied et lui, il a manqué de vigilance : Mais comment nous avez-vous trouvés ?
Bastoche, dis-je. Oui, chevalier, votre ami est devenu le mien. Nous nous sommes rencontrés le matin même, alors qu’il courait d’une rue à l’autre, pour faire parler de moi. Vous m’aviez assuré qu’il est bien renseigné. Je vous donne confirmation. C’est lui qui m’a appris où séjournait Lanteaume pour les prochains jours. Car Lanteaume n’est pas un homme à camper sur ses positions. Tout comme moi, il aime le mouvement. N’être jamais là où on l’attend, et toujours se trouver là où ne l’attend pas, voilà à quoi tient son mode de survie.”
« Ici, dit d’Artagnan à l’intention du roi, je me dois d’interrompre le récit de l’aventurier :
— Ce mode de survie, nous l’avons brisé. Et voici monsieur de Lanteaume contraint de faire les cent pas. Le lion est en cage. Deux étages plus bas.
L’aventurier don Juan de Tolède n’est pas surpris.
— Oui, j’ai vu. Nous nous sommes croisés dans les couloirs. C’est décidément un hôtel de prestige que cette maison de la Bastille, on y voit nombre de gens remarquables.
— Lanteaume n’est que de passage. Dans deux jours, il montera sur l’échafaud.
— Et les autres ? Car j’imagine que vous avez fait une pêche miraculeuse, emprisonnant toute la troupe dans vos filets.
— Les autres resteront aux fers. Son Éminence veut un exemple. Lanteaume ne fléchira pas.
— Et la Cabale ?
— En liberté. Nous manquons de preuves et le temps presse. Mais nous en reparlerons ensuite. À chacun son récit. Reprenez, je vous en prie, et pardonnez-moi pour cette interruption.
L’envoyé de la Providence
Don Juan de Tolède se ressert un verre et il poursuit :
“Ce Bastoche est bien vu. Il me porte caution. Lanteaume veut me remercier par un beau geste. Il me tend une bourse.
— Comme le diable, lui dis-je, comme vous-même, comme vos hommes, je suis un voleur, mais pour une fois, je ne prends pas, je m’offre.
Main-gauche, on s’en doutera, ne voit pas la chose d’un bon œil.
— Tout ça est trop beau, dit-il, comme le reste. Je me méfie. Et j’aime pas les indécis, un jour non, l’autre oui.
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