Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
voilait le regard de l’enfant se dissipe enfin. Plus besoin de sortir, de marcher, de respirer à larges poumons !
— Il revient ! s’exclame le roi.
La reine s’approche de son fils, elle porte son regard là où son fils porte le sien. Une tache rapide, brune et noire, sort de la grisaille. Un cavalier. Ce cavalier se dirige vers le château.
— D’Artagnan ! dit encore le roi.
La reine sourit, mais elle reste sceptique.
— Allons, Louis, attendez de mieux voir. Ce cavalier est encore trop loin, rien ne vous dit que…
— Mon cœur, ma mère, mon cœur me dit que le chevalier revient au château ! Oh, le laisserez-vous entrer dans ma chambre, acceptez-vous de nous laisser seuls encore une fois ? De remettre à plus tard ces jeux et ces promenades ? Il fait si vilain temps dehors, et je suis si heureux de le revoir !
— Bien, dit la reine en passant sa main dans les cheveux de son enfant. Mais je crains que ne vous soyez déçu. Préparez-vous à ce que ce cavalier ne soit pas encore celui que nous attendons tous.
— Mais, maman, mon cœur ne pourrait m’avoir trompé. Ce cœur n’est-il pas notre meilleur conseiller ? Ne voit-il pas ce qui reste invisible à nos yeux ? N’entend-il pas la voix de Dieu, parlant dans le silence ?
La reine a un frisson.
Ces paroles sont pleines de vérité ; de cette vérité pure et désarmante sortant de la bouche des enfants. Oui, le cœur est bien le plus sensible des instruments, quand aucune armure ne le défend, quand aucun bouclier ne le protège. Alors, tout l’émeut, toutl’alerte, tout le fait vibrer, le moindre souffle porteur de bonnes ou de funestes nouvelles vient le mettre en émoi, le faire chanter, le faire pleurer… sonner la liesse ou le glas !
Changement de décor
Le cœur et l’enfant avaient raison.
Quelques instants plus tard, après avoir fait son rapport à monsieur de Mazarin, le chevalier d’Artagnan entre dans la chambre du roi.
Celui-ci doit encore freiner son élan. Il voudrait se jeter aux bras du revenant, mais il se contente de faire bon accueil :
— Chevalier, quelle joie de vous revoir ! Je vous croyais mort !
— Bonjour, Votre Majesté, dit d’Artagnan en s’inclinant le chapeau à la main. La mort attendra, Dieu lui-même n’aurait pas voulu que je vous abandonne sans avoir achevé mon histoire. Sire, pardonnez cette mine et cette mise, je suis venu frapper à votre porte sans prendre le temps de me laver, de me restaurer, de me changer.
Oui, ce cavalier sent la sueur, le cheval et la poudre.
Il n’est pas rasé, ses bottes sont couvertes de boue, il n’a pas dormi, ses yeux sont brûlants.
À tout dire, d’Artagnan aimerait fort prendre un bain, manger un vrai repas et s’allonger sur un lit. Mais c’est plus que l’enfant ne veut accorder. En obéissant à la consigne du cardinal : Courez vous présenter à notre roi, vous vous reposerez ensuite , d’Artagnan pressentait à raison qu’il lui faudrait prolonger sa veille et conserver quelque heures encore son vêtement de crasse.
Cependant le roi n’est pas cruel.
Son chevalier doit reprendre des forces. À boire et à manger , voilà ce qu’il veut bien concéder. Le reste est remis à plus tard. Priorité au devoir. Priorité au récit.
Le narrateur reprend sa chaise. Mais cette fois, il se rapproche du feu de la cheminée. Il enlève ses gants, il se frotte les mains, et se prépare à dévorer son festin – livré promptement et fumant sur un plateau – mais le roi le presse.
Louis XIV a pour ainsi dire oublié que la guerre gronde à quelques lieues de là, que le chevalier revient avec plusieurs jours de retard. Il ne songe pas un instant à interroger son protecteur sur la mission certainement périlleuse qu’il vient d’accomplir. Laréalité présente n’est à ses yeux que de peu d’importance. Qu’elle demeure, pour l’heure, noyée dans les vapeurs de cette brume embrassant le paysage. Il faut revenir à ce qui fut interrompu, retrouver don Juan de Tolède, l’aventure passée. Ce feuilleton passionnant dont le roi attend la suite !
— Eh bien, Sire, dit d’Artagnan en fixant du regard sa poularde farcie, replacez-moi donc la situation, que les événements me reviennent en mémoire.
— Je croyais votre mémoire infaillible.
— La faim l’affaiblit.
Pendant que d’Artagnan mord donc sa poularde à belles dents, qu’il fait rentrer dans sa bouche le plus qu’il peut y faite tenir, le jeune roi répond aux
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