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Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
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voilà revenu à Rouen, vingt ans plus tôt. Lamortdieu est toujours aussi hargneux, peut-être même davantage. C’est parce que j’en ai qu’une , me dit-il en montrant son moignon, que tu retiens tes coups ? Il siffle. Dans les rangs, un homme se lève. Une belle brute. Lui aussi saisit un bâton. Les enjeux ont grimpé. Cette fois, on ne mise pas lourd sur ma petite tête de dernier venu. Mais je leur donne du fil à retordre. Ah, chevalier, vous avez manqué un beau duel, par ma foi. J’ai pris quelques coups, mais j’en ai porté davantage. D’ailleurs Main-gauche me rend les honneurs. Applaudissez cet homme , dit-il, je m’étais trompé sur son compte, il en vaut dix.
    Je suis porté aux nues.
    Si tu nous disais d’où tu viens , demande Lamortdieu ? Étrange question dans sa bouche. De loin , dis-je, d’ici et d’ailleurs . J’ai fait quelques voyages . On me fait parler.
    J’ouvre des horizons, je mentionne quelques noms, quelques étapes, je cite quelques batailles… Une belle soirée en vérité. Moi aussi j’ai bu, accompagné par un air de flûte, j’ai raconté mon premier périple en terre étrangère, de l’autre côté de la Manche. Une histoire de jeunesse ou comment un fuyard en exil devint le protégé du favori d’Angleterre, lord Buckingham. Je leur ai parlé d’un certain Felton, et des événements cachés qui précipitèrent la chute et la mort de Georges Villiers.
    J’avais ramené l’Alouette, j’avais partagé leur vin, j’avais participé à leurs jeux, je les avais fait rire et pleurer, car ces marauds-là ont des larmes et des joies comme tout le monde, il n’en fallait pas davantage pour devenir l’un des leurs.
    À la vie, à la mort , me disentil en levant leurs verres.
    J’accepte le salut, et je chante avec eux, sans ignorer que dans peu de temps il me faudra tous les trahir, du premier au dernier.
    Croyez-moi, chevalier, derrière tout Judas se cache un homme de bonne volonté.
    Certainement pas ceux qui s’aiment…
    Une main se pose sur mon épaule, celle de Lanteaume.
    Il revient de la tente où Margaux est couchée.
    Je le questionne.
    — Comment va-t-elle ?
    — Elle me voit, mais n’ouvre pas la bouche. Éliane veut te parler.
     
    La femme m’attend.
    Cette poupée du diable me regarde droit dans les yeux. Je ne sais pas ce qu’elle voit. Mais elle en voit, des choses. Trop peut-être. Son regard va si loin, comme une lame traversant les couches, que je crains d’être démasqué, dénoncé, torturé, roué, écorché, écartelé, après avoir été si chaleureusement reçu. Triste fin.
    — N’ai pas peur, me dit-elle.
    — Peur ? De quoi ?
    — De moi. Je ne sais pas qui es tu es, me dit-elle, mais tu n’es pas celui que tu prétends. Qu’importe. Ce n’est pas mon affaire. Ce que tu viens faire, tu dois l’accomplir. À chacun son œuvre. Bonne ou mauvaise, les dieux jugeront. Va voir cette jeune femme. Toi seul peux la tirer de l’abîme, comme elle seule te sortira du tien. Et pendant que j’y pense : méfie-toi de Main-gauche.
     
    Elle me laisse. Je fais trois pas vers la tente et je me retourne. Elle a disparu. Comme un fantôme. Drôle de femme, si c’en est une.
     
    J’ouvre la tente.
    La belle Alouette ne bat que d’une aile, et moi, j’ai le vertige. Comme si j’avais été drogué. Est-ce le vin ? Cette sorcière aurait-elleversé une de ces potions infernales dans ma coupe. Je le crois sérieusement. À moins que ce ne soit ce parfum d’encens, de plantes brûlés, des médecines de vieux sages ou de druides païens pour chasser les mauvais esprits. Blessée, meurtrie, blanche comme la craie, elle est encore plus belle ou d’une beauté différente, étrange, envoûtante. L’ombre d’un instant, son visage me fait penser à celui d’une autre femme : Desdémone. Mais ce que l’on voit surtout dans ce visage, comme une fleur détachée des profondeurs et qui remonterait nager à la surface, c’est l’âme. Elle remplit ses yeux. Elle envahit la pièce. Je m’assieds auprès d’elle. Elle me prend la main. Elle sourit. Je ne sais si elle délire ou si elle est elle-même, mais cette fois, nous sommes véritablement… face à face. Sans faux-semblant, sans barrière et sans pudeur.
    — Ainsi, c’est vous qui m’avez sauvée, vous, le don Juan, l’aventurier, le bravache !
    — Pour vous servir, mademoiselle. Vous oubliez encore quelques noms d’oiseaux dont je m’enorgueillis : coupe-jarret,

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