Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
trompe-la-mort et j’en passe.
— À quoi peut-on croire, gentil sauveur, quand il ne vous reste plus rien ?
— À l’amour, mademoiselle.
— L’amour, dites-vous. Il m’a cruellement trompée. Tout ce en quoi que je croyais n’était qu’illusion.
— Ce n’est pas l’amour qui nous trompe. L’amour ignore la malice. Il se suffit à lui-même. Il doit rester pur. Une goutte de vin dans votre eau va la dénaturer, chasser son goût, changer sa nature.
— Mais alors…
— Ce qui nous trompe, c’est ce qui nous ment.
— Et vous, mentez-vous souvent ?
— Pas ce soir.
Mais je dois me reprendre :
— Plus maintenant.
— Vous êtes souvent derrière moi, me suivez-vous ?
— Malgré moi.
— Alors, vous êtes mon ange gardien.
— Ou alors, c’est vous qui êtes le mien. Celui que l’on délivre, en nous poussant à faire le bien, nous rend le plus cher des services.
— Pourtant, dit Margaux, comme pour elle seule, comme ils semblaient sincères ces mots, comme ils me plaisaient. Ils tournentencore dans ma tête, j’ai encore cette lettre devant les yeux. Croire qu’ils me leurraient me fait tant souffrir, plus que tout. C’est à l’intérieur que je saigne, mais ce n’est pas ma vie qui s’enfuit, c’est mon âme… et rien ne semble pouvoir la retenir. Non, je ne puis croire que ces mots soient ceux d’un menteur :
Dieu que la Ville est triste, tous ces murs, tous ces toits
J’envie l’Alouette qui chante à travers bois
Et Molière me vient en aide, aussi je poursuis et je me démasque :
Chaque arbre est sa maison, chaque colline son clocher
Le ciel est son palais, la nature son verger
Le faucon est noble, l’aigle majestueux
On admire ces maîtres, au poing d’hommes au sang bleu
Mais moi, j’aime l’Alouette, qui n’est rien qu’un ramage
Une flèche d’or et d’azur transperçant les nuages
— Ainsi, c’était vous… s’exclame la belle Alouette dans un mouvement d’enthousiasme.
Oui, moi aussi j’ai joué avec le feu, et ce soir là, je m’y suis brûlé.
— Ce poème n’est pas de moi, mais j’ai voulu qu’il existe pour vous, qu’il vous dise ce que je ne saurais dire, et peut-être qu’il nous rapproche un jour, l’un l’autre, comme une prière dite avec ferveur rapproche l’homme de son créateur.
Il n’en faut pas plus. Nous sommes seuls. À l’abri des regards, sans être toutefois à l’abri des jugements. Mais qui peut prétendre l’être, en ce bas monde ? Certainement pas ceux qui s’aiment. Certainement pas ceux qui aiment.
Les roses ne durent qu’un matin
La sorcière avait raison. L’aurore s’est levée sur un nouveau jour. Margaux vivra. Margaux est guérie. Elle doit rester couchée, mais elle peut marcher, elle peut parler. Lanteaume a veillé toute la nuit, le chapelet à la main.
Personne ne saura ce qui s’est dit sous cette tente, on n’a rien vu, on n’a rien entendu, et la majorité ne veut pas savoir. Tout ce qui compte, c’est que la fille est sauvée. Et encore une fois, il semblerait que j’y sois pour quelque chose.
Ma place est assurée. Je porte chance. Aucun homme dans la troupe soldatesque de Lanteaume qui ne soit superstitieux. Je vais faire pencher la balance du bon côté.
Main-gauche vient me saluer. Il me tend sa main.
— Merci, me dit-il. Merci pour elle, merci pour nous.
Quant à moi, je suis pris au piège.
J’aime cette fille et la compagnie de ces hommes en vaut une autre.
Ne jamais s’attacher.
C’est la règle d’or, quand on vend ses services.
Il faut jouir de l’instant avant de boire la lie de son vin.
Que faire ? Tenter de dérober la moitié du parchemin que possède Lanteaume n’est pas une mince affaire. Du reste, je ne peux savoir où vous en êtes, d’Artagnan. Pour faire tomber ces conjurés, il faut joindre les deux pièces du document. Les rassembler l’une après l’autre, c’est courir de gros risques. Bref, je passe en revue les diverses opportunités, me disant : le cardinal aimerait sans doute tendre un piège à ce dangereux brigand, pour ne pas avoir à lui donner la chasse, mais pour le prendre sur le fait. J’en conclus que le mieux est encore d’attendre notre rendez-vous du soir : vous me donnerez alors les consignes de Son Éminence. Je ne puis sortir le jour, je suis le bienvenu mais on me tient sous surveillance.
Certes, en cette première moitié de journée, le camp est privé de sa tête et de
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