Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
désirs de son narrateur. Il n’hésite pas et va droit aux faits :
— Edmond de Villefranche et son page Hercule n’étaient plus en sécurité. L’un passe pour mort, mais demeure en vérité sain et sauf dans la maison retranchée du bourreau de Paris, maître de La Hache, le père naturel de don Juan de Tolède. Entre l’aventurier intrépide et le gentilhomme déshérité, une affaire d’honneur reste en suspens. Hélas ! Hercule, lui, ne doit pas quitter la demeure de cette étrange et troublante femme, Desdémone, devenue sa maîtresse. La garde armée veillant sur cette Italienne le protégera aussi bien qu’elle. Vous êtes également, chevalier, un regretté disparu. Paris le croit. La Cabale s’en réjouit. Mais Dieu soit loué, il n’en est rien. Vous continuez de vivre, et vous venez tout juste de reprendre la route menant à Paris, laissant aux bois monsieur Amadéor, votre allié chargé d’infiltrer la troupe soldatesque du brigand Lanteaume. Il n’ira pas seul. Il emporte avec lui le corps blessé et inconscient de la jeune Margaux, dite l’Alouette . Un accord vient d’être passé entre l’ambassadeur de la Cabale, monsieur de Gaillusac, et monsieur Hyppolite de Lanteaume. Un guet-apens va être tendu, le cardinal en sera la cible. Le brigand exigeait des garanties, l’ambassadeur cherchait à se couvrir, tous deux ont partagé de moitié un document signé par tous les conjurés, où figuraient noir sur blanc les engagements pris et les récompenses promises à la mort de Son Éminence. Ce document, vous devez le reconstituer et le remettre à monsieur de Mazarin, mon parrain, afin qu’il puisse compromettre ses ennemis.
D’Artagnan avale une rasade de vin de Bourgogne et s’essuie la bouche avant de dire :
— Votre Majesté, je vous félicite, voilà un compte-rendu digne d’un parfait agent du secret. Il n’y manque rien, il est à la fois clair et succinct. Le cardinal serait fier de vous.
— Ah, j’oubliais… vous avez rendez-vous avec don Juan de Tolède, au bois du roi Jean, à la nuit noire mais sous le clair de lune, devant la tombe de l’inconnu, deux jours après vous être quittés.
— C’est exact, Sire. Mais Amadéor ne put me rejoindre. Nous allons sauter des étapes. Quatre jours ont passé.
— Quatre ?
— Quatre. Et nous allons changer de décor. Trois actes ont été joués, il en reste deux. Le rideau se lève. Nous sommes à la Bastille.
— La Bastille, dites-vous ?
— La Bastille. Je suis porteur d’un billet signé de Son Éminence qui me fait ouvrir toutes les portes. Je viens visiter un prisonnier dans sa cellule. Et ce prisonnier, c’est don Juan de Tolède.
— Lui ?
— Nous sommes aux premières heures du jour. La lumière est blafarde. Rassurez-vous, Sire, notre ami est confortablement installé. Sa chambre est équipée d’un lit, d’une table et d’une chaise. Et puis, c’est une chambre avec vue. Du reste, je n’arrive pas les mains vides, mais avec quelques aliments, tels ceux que vous m’avez fait porter. Maintenant, Sire, je vous demande de ne pas m’interrompre. Dites-vous que vous êtes au théâtre. Vous auriez mille questions à poser aux acteurs ou à votre voisin qui a déjà vu la pièce, mais vous êtes gentilhomme et vous avez confiance. Plutôt que de troubler l’auditoire ou le jeu des interprètes, vous gardez le silence. Vous savez que vous les réponses vont se présenter d’elles-mêmes.
— Chevalier, qu’il soit fait selon votre bon plaisir. Je vous écoute de toutes mes oreilles.
Retrouvailles
« L’aventurier don Juan de Tolède se réjouit de me voir. Je lui verse à boire et je lui tends son verre. Il prend son temps, cette fois, avant d’y porter les lèvres.
— Les derniers plaisirs d’ici-bas ?
— Buvez en paix, lui dis-je. Votre détention prend fin. Vous n’aurez passé qu’une nuit derrière les barreaux. Le cardinal m’envoie vous chercher.
— En voilà une heureuse nouvelle ! Si je n’étais pas mécontent de découvrir de l’intérieur ce monument de Paris que je n’avais jusqu’alors aperçu que du dehors, j’espérais secrètement ne pas y moisir, ou pis… en sortir par la voie officielle, pour passer de la cellule d’isolement à l’échafaud du dernier supplice.
— Cependant, vous avez tout le loisir de vider votre verre à petites lampées. Le cardinal doit régler quelques affaires, nous avons deux heures devant nous.
— Je vois que vous êtes bien
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