Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Ce n’est pas un moulin ici.
Mais Lanteaume lui demande de me laisser parler. Ce qu’il veut, c’est être convaincu.
— Tu tombes mal, dit encore Main-gauche.
— Ah, dis-je, vous êtes sur une belle affaire ?
— Elle se fera sans toi, répond le bras droit.
Fort heureusement, cet empêcheur de danser s’en va, nous laissant entre hommes.
— Je suis l’envoyé de la Providence, dis-je à Lanteaume. Ce n’est pas le hasard qui m’envoie, mais le destin.
— Je croyais que tu voulais faire cavalier seul. Et ta quête d’amour, c’en est donc fini ?
— Bel et bien.
— Et l’autre ? me demande-t-il encore, je le croyais pendu à ta ceinture.
— Eh bien, justement, lui dis-je, Fortunio est pris, ligoté, amoureux. Il a trouvé ce que je cherchais. En le voyant si soumis, embrassant ses chaînes tout autant que sa promise, je l’ai abandonné aussitôt avec mes illusions.
Lanteaume sourit. Je l’amuse. Mais ce que je veux, c’est être pris au sérieux. Je trouve les mots.
— Disons tout : à Paris, mon nom est en tête d’affiche. J’ai tué un gentilhomme. À la loyale. Si l’autre était vainqueur, onlui rendait hommage. Mais je ne suis qu’un paladin sans passé ni fortune, alors je mérite le gibet. Belle justice !
Lanteaume ne sourit plus. Je n’ai qu’à porter l’estocade.
— J’ai couru les routes, j’ai livré bataille en tous lieux et pour toutes les causes, car toutes les bannières payaient à part égales en monnaie de fer… Et le fer valait mieux que la faim. L’or, c’est autre chose. L’eau va toujours à la rivière. Les vrais pillards ont les mains blanches et la bénédiction du pape. Aucune province, aucun duché, aucun empire qui n’ait au sommet son ogre des finances. Pour asseoir leurs positions, gaver leur famille, trôner en cour, régner sur terre, payer leur police, soudoyer les tribunaux, ils n’ont qu’à prendre la plume et lever des taxes. Le vin dont ils remplissent leurs calices, ce vin dont ils enivrent les princes dont ils dépendent, ne vient pas de la vigne, mais des hommes, ce vin, c’est le sang du peuple, pressé dans la cuve qui le leur fournit, le sang des faibles broyés entre le marteau et l’enclume.
— Et Mazarin, qu’en penses-tu ?
L’occasion est trop belle.
— J’en fais mon ennemi personnel, un symbole. Ah, monsieur Lanteaume, je suis à vous à vendre et à dépendre . Prenez mon bras, prenez ma lame, prenez mon âme et tirez-en du feu et des armes pour porter quelques pointes à Son Éminence, qu’il paye ! Perçons-le comme une outre, qu’il rende cet or qu’il cache en bandoulière sous sa soutane !
Lanteaume est satisfait. Je suis l’homme qu’il lui faut.
— C’est bien, dit-il, tu as en effet frappé à la bonne porte. Tu es ici chez toi. Je vais donner le mot. Ce soir, c’est fête. Amuse-toi comme les autres.
Un homme de bonne volonté
…La nuit tombe. On allume des flambeaux, on se décharge de ses rapières, de ses canons et de ses arquebuses, on sort les cartes, on fait rouler des tonneaux près du feu. La compagnie de Lanteaume, c’est un vrai régiment en campagne. Il y a des arquebusiers, des fantassins, la piétaille et des cavaliers, des tambours et des joueurs de fifre. On entonne des chansons du pays et on met un baril en perce. Pour peu, on entendrait presque la voix des Espagnols reprendre leur cantique, de l’autre côté des lignes.Cela dit, ces Espagnols, Lanteaume en a deux chez lui. Il les a ramenés d’une expédition. Des têtes mises à prix… des semblables.
Le vin met les têtes en feu.
Main-gauche a fédéré une partie du camp.
On veut voir ce que j’ai dans le ventre. On me lance un défi et un bâton, taillé dans le chêne. Main-gauche manie le sien en le faisant tourner dans sa main. Debout, dit-il. Il est à moitié ivre. Je ne bouge pas. La pointe de son bâton se pose sur mon épaule. Il me nargue, il veut me pousser à bout. Il y a ceux qui gardent le silence et ceux qui l’encouragent. On veut des coups. On veut du sang. Il faut danser. Debout, dit-il encore, d’une voix plus forte. Cette fois, il veut frapper pour de bon. C’est bon , dis-je, en parant son attaque et en me dressant face à lui. Je pose mon chapeau, je m’allège, jetant à terre cape, baudrier, lames et pourpoint. La lutte commence, en cadence avec les martèlements des tambours et l’accompagnement des gradins battant des mains. Ce combat, c’est un retour aux sources. Me
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