Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
ses courriers aux mains d’une entremetteuse (femme de confiance et de loyauté, a assuré le bellâtre), madame Louise Duramont tenant commerce d’une pâtisserie de renom, rue Saint-Benoît. Sa boutique servira de boîte à lettres.
— Intéressant. Mais après ?
— Après, plus rien. Le gentilhomme est parti de son côté, mademoiselle du sien. Je l’ai suivie un court moment, mais elle a dû sentir que quelqu’un marchait sur ses pas, elle tournait régulièrement la tête. Elle m’a conduit dans un réseau de ruelles étroites pour m’égarer. Bref, j’ai perdu sa trace.
— Elle n’a pas vu ton visage ?
— Non, je ne crois pas.
— Bon. Il vaut mieux qu’elle ait voulu disparaître plutôt que de te mettre la main au collet. Tu n’as pas été démasqué et tu pourras l’approcher encore sans éveiller de soupçon. Soit, l’oiseau s’est envolé, mais pourrais-tu m’en dire davantage à son sujet ?
— Elle se prénomme Margaux, dite l’Alouette . Lanteaume l’a recueillie enfant, il la considère comme sa fille. Une fille doublée d’une élève. Il lui a tout appris. Trop peut-être. Maintenant qu’elle en sait tant, elle ne craint pas de voler où bon lui semble. Lanteaume a chargé son second, Main-gauche , de veiller sur elle. Ils sont comme frère et sœur. Mais l’aîné a bien du mal à la tenir tranquille. Elle lui fausse parfois compagnie, avec ou sans son accord.
— Bravo, Bastoche, dis-je à mon jeune lieutenant en lui tendant une nouvelle pièce. Offre-toi un macaron et reprends ta surveillance. Je respire dans l’air de la salle un parfum de complot qui me chatouille les narines. Tâchons de le mettre à nu. »
Quartiers libres… jusqu’à minuit
D’Artagnan revient dans la salle, où le roi attend de voir, lui aussi, Le Cid en action. Le chevalier poursuit donc :
« Les farceurs ont emporté les rires et les applaudissements du public. Mais on ne veut pas les retenir plus longtemps. Place au théâtre, à Corneille, au nouveau venu, à ce jeune premier qu’un gentilhomme de fortune fit monter sur scène. Edmond de Villefranche cache au mieux son angoisse.
Il se dit sans doute qu’il eût mieux valu ne pas tenter le diable. Cette salle aux quatre murs prend à ses yeux l’aspect d’un tribunal.
Il tourne la tête, observe les galeries. Il y a d’abord, tache éclatante au cœur du balcon, cette femme, cette Italienne, autour de laquelle se pressent les doutes et les interrogations. Comme on ignore encore ses origines, voyant qu’elle est riche, on n’ose point la montrer du doigt, on ne sait s’il faut la courtiser ou la suspecter, l’approcher, la flatter ou la tenir à l’écart. Certaines rumeurs, descendues jusqu’au parterre, affirment que c’est une cantatrice sicilienne, peut-être même une amie du Mazarin, fervent amateurd’opéra. Edmond s’imagine qu’elle sera peut-être de tous la plus indulgente, mais il sait bien que ses voisins et ses voisines n’auront aucune raison de montrer de la clémence. Ces éventails et ces chapeaux à plume cachent d’impitoyables initiés, des gourmets aux dents longues, des précieuses féroces.
Un rire méchant ou un mot acéré du premier d’entre eux déclenchera aussitôt le feu roulant d’une mise à mort. Malheur aux vaincus.
Ce soir, tout se joue. Une fois ouvertes les portes de l’hôtel de Bourgogne, le jugement partira en coup de vent, remontera les rues, survolera les toits, et viendra s’annoncer par vingt bouches à la fois aux oreilles du cardinal de Mazarin. Edmond le sait : un héros peut tout demander la tête haute, un perdant doit s’humilier davantage. En bref, les demandes de l’honnête gentilhomme sont placées dans les mains de son page. Lourde responsabilité, à laquelle certainement le novice n’a point songé.
Mais très vite, on en vient aux évidences. Edmond peut respirer. Ce jeune homme est à sa place. Il ne pouvait rester au parterre, simple spectateur. Hercule n’a que ce qu’il est, mais ce qu’il est force le respect. Avec plus de temps et plus de préparation, il eût dû certainement se plier aux conventions imposées, à la direction du maître. Mais en cette représentation plus exceptionnelle encore qu’on pouvait l’imaginer, sa liberté force celle des autres. On doit le suivre où qu’il aille, à lui qui n’est rien, la Providence cède tout. Ces comédiens qui lui donnent la repartie le laissent, par force, mener le jeu.
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