Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
L’émotion y gagne.
Il n’hésite pas un instant, il ne trébuche pas. Il ne cherche pas à forcer le trait pour masquer son inexpérience. En étant Hercule, il est Rodrigue. Bien sûr, aux premières scènes, le public est surpris, dubitatif. Ce ne sont pas des alexandrins ronflants qui sortent de la bouche de ce prodige, mais des mots sincères et vibrants. Ce jeune homme parle effectivement le langage du cœur. Il forme avec Chimène un couple idéal et déchirant. Ce texte divin semble avoir été écrit pour eux.
Dès l’acte II, la victoire est acquise.
Les critiques se sont tues. On écoute religieusement la suite de la pièce. Sans violence ni coup d’éclat, Hercule a changé le visage de cette tragédie. Il l’a assouplie, il lui a donné un sang neuf.
À la fin du drame, le public applaudit à tout rompre.
Edmond de Villefranche exulte. Mais il se garde d’afficher sa joie.
Après avoir reçu les bouquets du public, Le Cid descend les marches et vient saluer son protecteur. Celui-ci embrasse son page avec chaleur. Hercule entend bien profiter de son deuxième succès.
— Me laisserez-vous la soirée libre… et quelques pièces pour ne pas aller dans Paris sans un liard en poche ?
Edmond reprend aussitôt ses esprits.
— Je vois, être sous le dais ne vous suffit pas. Il vous faut encore une récompense.
Derrière Hercule, toute une bande s’est formée. Elle réunit les partisans de la nouveauté. Je vois Molière et sa douce amie Madeleine Béjart, quelques membres de leur compagnie de l’Illustre-Théâtre, ainsi que deux ou trois comédiens de l’hôtel de Bourgogne. Parmi eux se trouve Chimène, qui se trouve être la jolie danseuse qui vint plus tôt à la rencontre d’Hercule, entourée de musique et de lumière, pour le féliciter de son intervention spectaculaire.
Le reste de la troupe de Bellerose se tient à l’écart.
La tradition n’aime guère les bouleversements, surtout s’il faut reconnaître sa défaite dans la victoire.
Edmond de Villefranche ne peut refuser la faveur qu’on lui demande.
— N’oubliez pas, dit-il. Demain, au petit matin, vous m’accompagnez au Louvre. Je ne veux pas vous y voir avec des cernes sous les yeux et bâillant dans votre main.
Puis versant une poignée d’écus à son page, il termine :
— Arrosez votre victoire… sans la noyer. Aux douze coups de minuit, à l’auberge. Soyez ponctuel.
La jalousie de l’Italienne révèle la compassion de l’aventurier
À la sortie du théâtre, je ne peux voir le barbon et son épouse. Peut-être le triste mari a-t-il tenu à partir avant la fin ?
Afin de n’être pas remarqué, je reste non loin du porche, mais à l’abri des chandelles. Je fume une pipe.
Précédé du gentilhomme Edmond de Villefranche, Hercule arrive enfin, avec ses affidés. On le salue de part et d’autre. De jeunes femmes, et parmi elles, du meilleur monde, lui jettent des œillades pleines d’affection. Don Juan de Tolède sort à son tour. Fortunio est derrière lui.
Hercule le retient.
— Monsieur, comment vous remercier ?
— Ne me remerciez pas, répond l’aventurier. Ce que vous avez accompli est exemplaire. Adieu, jeune homme, finit-il sèchement en le saluant.
Ces mots dits, il se met à l’écart. Je suis derrière lui, il ne me voit pas.
Le groupe dont Hercule prend la tête passe devant.
Desdémone est là.
Elle garde les yeux fixés sur le page. Profitant qu’Edmond vient tout juste de s’en aller, le jeune homme prend la main de Chimène… une idylle est en train de naître.
L’Italienne veut s’avancer, mais le don Juan lui effleure le bras.
Elle se retourne vivement, une main à la ceinture, comme prête à saisir un poignard.
Scène étrange. J’entends le don Juan lui dire :
— N’ayez crainte, madame. C’est l’affaire d’un soir. Celle-ci l’aime aujourd’hui et le quittera demain, sans malice aucune, elle est ainsi faite. Le temps est de votre côté.
— Vous connaissez si bien les femmes ? demande-t-elle d’une voix tremblante.
— Certaines, oui, répond simplement l’aventurier avant de la saluer et de partir à grands pas.
Edmond de Villefranche se voit poursuivi par le défenseur de Rodrigue
Les groupes se divisent. Hercule s’échappe dans une direction, avec son cortège. Desdémone se dirige vers son carrosse. Je vois Fortunio, là-bas, qui monte à cheval. Il a dû recevoir l’ordre de la suivre.
Je m’apprête à faire de même, mais
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