Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Bastoche m’intercepte.
    — Je vous cherchais, me dit-il, il y a urgence.
    — Parle, je t’écoute.
    — On vient de passer commande, sous mon nez.
    — Commande de quoi ?
    — De meurtre. La cible : ce beau gentilhomme à côté de qui vous étiez, à l’hôtel de Bourgogne, il vient de sortir.
    — Edmond de Villefranche ?
    — Le protecteur de Rodrigue .
    — C’est lui ! Filons, dis-je en entraînant Bastoche avec moi, je viens de le voir partir, avec un peu de chance nous pouvons encore le rattraper… Il rentre à son gîte et je connais son adresse, c’est moi qui lui ai indiqué où loger ce soir.
    Je dois donc laisser Desdémone s’échapper. Qu’importe ! Au fond, je doute fort qu’elle puisse commettre ce soir ce terrible meurtre contre la personne du cardinal, en revanche, je suis bien certain d’obtenir son adresse dès le lendemain. Cette priorité est chassée par une autre. Nous partons rejoindre, Bastoche et moi, monsieur Edmond de Villefranche. Mais Bastoche poursuit son compte-rendu en cours de route, les révélations s’enchaînent.
    — Ce n’est pas tout, dit-il, j’ai d’autres informations, et de poids.
    — Éclaire ma lanterne.
    — Pour ce meurtre dont on a passé commande, je sais également qui doit tenir l’épée…
    — Eh bien ?
    — Don Juan de Tolède. »
    Un coup monté peut en cacher un autre
    Le jeune roi bondit sur sa chaise.
    — Impossible ! dit-il. Non, je ne le veux pas !
    — Hélas, Votre Majesté. C’est ainsi, mais gardez espoir… et poursuivons notre chemin sur ce lit d’épines et écoutons Bastoche.
     
    « — Je dois vous raconter, dit-il, c’est madame Adélaïde qui l’a engagé, la femme du barbon, le pigeon de La Tour d’Auvergne.
    — Vraiment ? Tu es bien sûr ?
    — Certain. Ils avaient dû convenir d’un début d’arrangement à l’entrée de l’hôtel, avant la pièce…
    — Ce qui permit à notre don Juan d’empocher un premier salaire et de payer sa place…
    — Mais alors il ne devait pas savoir encore qui il était chargé d’expédier. Tout cela fut précisé lors de cet entretien que j’ai surpris à la dérobée, devant la sortie. La petite dame lui a désigné devant moi la silhouette du gentilhomme, en disant : Sa tête m’encombrerait, ramenez-moi son couvre-chef, cette monnaie d’échange suffira de garantie… — Soit, je le déposerai à vos pieds, mais qu’apporterez-vous en retour ? demanda le don Juan. — Le sang pour le plaisir , répondit la femme, en baissant la voix. — Diable , a repris effrontément son interlocuteur, j’ose espérer que vous serez tout amour, car le page de ma prochaine victime ne m’est pas antipathique. La mort de son maître le fera souffrir. Il voudra le venger. — On n’a rien sans rien, soyez sans crainte, bel astre, je me donnerai… sans réserve ni pudeur. — Bon, mais votre diable de mari ? Faut-il également lui passer l’épée par le ventre ? Cela, je veux bien le faire gratis… Mais enfin, tout service se paye, c’est la loi des honnêtes gens, alors ? — On ne tranche pas la main qui vous nourrit, du moins pas encore… En l’immédiat, je le ferai dormir comme une pierre à l’aide d’une petite poudre que je garde près de moi et que je verserai dans sa coupe, arrivé à demeure. Quand il ronflera à poings fermés, je m’échapperai et j’irai vous rejoindre. — L’adresse ? — Rue Saint-Louis-en-l’Isle, hôtel de la Mirande.
    — Eh bien, que d’intrigues…
    — Mais ce n’est pas tout.
    — Quoi ?
    — Le barbon… de son côté…
    — Qu’a-t-il fait ?
    — Pendant que mes deux oreilles écoutaient attentivement son épouse et le don Juan se mettre en accord, l’œil qui n’était pas occupé à les observer en détail le voyait plus loin, à l’écart, faire signe à un groupe de cinq marauds, qui par connivence répondirent en hochant sinistrement la tête et en se mettant en route, la main à la garde de l’épée.
    — Un autre guet-apens ?
    — Tout le laisse penser.
    — Halte, Bastoche, dis-je en obligeant mon jeune acolyte à rester sur place. On se range.
    Face à face
    Nous avons passé plusieurs rues, croisé plusieurs passants et quelques voitures, dont certaines devaient sortir du théâtre de l’hôtel de Bourgogne. La nuit est tombée depuis peu. Le beau temps incite les gens à sortir, à souper dehors… L’assassin devait espérer que le gentilhomme allait enfin quitter ces terrains peu favorables à son