Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
fait sauter une bourse dans sa main :
— J’ai là de quoi monter au ciel, dit-il en désignant les galeries, mais j’aime être au pied de la montagne, à contempler la beauté de ses neiges éternelles, précise-t-il en tournant la tête vers un point précis.
Je suis la direction de son regard et je tombe également en admiration. Desdémone est en robe blanche au balcon. Seule, chose étonnante, sans son accompagnateur… refuse-t-elle de le montrer publiquement ? On ne sait.
Ne voulant laisser percer le grand intérêt – tout professionnel – que je lui porte, je change de propos :
— Mais au sujet de cette bourse, comment êtes-vous parvenu à vous la procurer ?
— Bassement, me répond l’aventurier. Mais je compte blanchir cette mauvaise action en en faisant bon usage.
Don Juan refuse de m’en dire davantage.
J’aperçois là-bas, au-devant, monsieur Edmond de Villefranche, je lui fais signe en lui priant de nous rejoindre.
— Diable, me dit l’aventurier, ne serait-ce pas ce beau monsieur qui fit du bruit à la porte du théâtre, en prenant à partie mon adversaire de table ?
— Lui-même. Ainsi, vous avez entendu ?
— Comme tout un chacun. Il est de vos amis ?
— J’ai fait sa connaissance ce matin même, peu après votre départ. L’Italienne y est pour quelque chose, je ne vous le cache pas.
— Intéressant. Il faudra que vous me racontiez. J’y compte. Et derrière lui, qui est-ce ?
— Son page, un dénommé Hercule.
En quelques mots rapides, pendant que ces messieurs traversent les rangs pour nous approcher, je relate l’exploit du jeune homme.
— Une nouvelle mouche s’est laissée prendre dans la toile, dit Fortunio. Vous avez peut-être un rival.
— Ouvre les yeux, Fortunio, ce n’est pas une mouche, mais un condor.
Je fais les présentations. Mais je n’ai pas le loisir d’en dire davantage, les salutations terminées, le rideau va se lever. Un homme s’avance sur la scène. On fait silence. Hélas, il est porteur de mauvaises nouvelles. Il va déclencher l’indignation, la révolte, des huées. Le spectacle des farceurs est maintenu, mais Le Cid est annulé. Sans Rodrigue, pas de pièce. Le comédien, pris de maux de ventre aussi soudains qu’épouvantables, ne pourra monter sur scène.
La chance du débutant
Mais alors que les gradins se lèvent, que le parterre bondit, prêt à envahir l’estrade pour passer sa colère sur le messager, que les projectiles de toutes sortes – fruits et autres denrées initialement destinées à couper la faim – pleuvent sur le rideau, mitraillent les planches, à côté de nous un jeune homme sent son cœur battre à tout rompre. Son heure a sonné.
— C’est ma chance ! dit-il, je ne la laisserai pas passer.
Edmond de Villeneuve tente de retenir par la manche l’intrépide qui déjà se hisse sur l’estrade.
— Que fais-tu ? demande-t-il en employant désormais le tutoiement.
— Je vais, je cours, je vole ! C’est maintenant ou jamais… Ne le voyez-vous pas ? Cette défection, c’est un signe du Ciel !
— Tu vas nous ridiculiser…
— Nous ?
— Vous connaissez la pièce ? intervient don Juan de Tolède.
— Comme si j’en étais l’auteur ! répond Hercule, avec fougue.
— Mais il ignore tout du théâtre, il n’a jamais joué ! reprend Edmond de Villeneuve.
— Il n’en sera que meilleur ! s’exclame don Juan de Tolède.
— Absolument ! dit une autre voix.
Cette voix, c’est celle de Molière qui a tout entendu et qui est venu nous rejoindre. Le comédien reprend à l’intention d’Hercule :
— Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Tout autre que mon père l’éprouverait sur l’heure ! répond Hercule avec force.
— Agréable colère ! répond Molière. Le farceur se tourne vers Edmond de Villeneuve et lui dit :
— Regardez-le, tout feu et flamme… n’est-ce pas le Cid en chair et en âme face à vous ? Don Rodrigue prêt à accomplir l’impossible, à changer la défaite en victoire ?
La main d’Edmond se relâche. Il libère son page.
— Soit, dit-il, Montre-toi digne fils d’un père tel que moi…
Hercule n’en demande pas davantage. Mais son maître le retient encore pour lui donner un dernier conseil :
— Va rejoindre la troupe, adresse-toi à monsieur Bellerose en personne, sollicite la place, c’est ainsi qu’il faut agir, en honnête homme.
Don Juan de Tolède intervient :
— Mieux vaudrait pourtant ne pas leur laisser le choix.
— Et leur
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