Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
monsieur avec une petite moustache cornue et un chapeau gris sur la tête. Il a dû chercher à négocier vos tarifs au rabais, car ses doigts se crispent et son cœur se serre quand il lui faut bourse délier.
— Son portrait craché, répond en souriant l’un des mercenaires.
— Mais dites-moi, répond l’aventurier, depuis combien de temps étiez-vous là, à nous observer ?
— Depuis le début, répond l’un des brigands. Pour parler franc, nous marchions derrière vous. Nous avons bien vite compris que quelqu’un ou quelqu’une vous avait également soudoyé à de semblables fins…
— Ainsi, si je comprends bien, dit don Juan, vous n’aviez pas de scrupules à me laisser le sale travail. Vous espériez profiter de l’occasion pour empocher le reste de la prime sans coup férir.
— En effet. Mais, sans offense, vous ne semblez pas trop motivé pour aller tout au bout. Et puis maintenant que l’autre est arrivé, dit-il en me montrant du doigt, on aimerait bien savoir quel camp vous allez choisir.
— Messieurs, répond le gentilhomme de fortune en se tournant vers Edmond et moi-même, acceptez-vous que je me joigne à vous ?
— Mais bien volontiers, monsieur, répond Edmond en invitant son ex-adversaire à changer sa garde. On se serre la main, on se serre les coudes.
La bataille peut commencer. Elle ne sera pas faite au carré, mais dans le plus grand désordre. C’est une ruée, où les épées s’emmêlent,où les coups pleuvent de toutes parts. Des chapeaux sont troués, des pourpoints traversés.
— À qui ai-je l’honneur ?, demande en plein combat don Juan de Tolède à cet adversaire qui se débat en diable et répond aussitôt :
— Pierre Mathieu, dit La Mort, dit Belles-Manières, pour vous servir… Et voici mes comparses, poursuit-il en se dégageant et en alignant le reste de ses troupes, qui fait retraite à son tour pour achever les présentations dans les formes, Messieurs Ramelot et Durimont. Mes meilleurs hommes.
Les deux autres, couchés à terre, l’un après l’autre, et comme d’un seul trait par le bras de l’aventurier, véritable maître du terrain, sont salués d’un signe de croix.
Nous devons également – courtoisie oblige – décliner nos références. Ces formalités expédiées, nous reprenons l’assaut. Nous sommes cette fois à parts égales, à un contre un. Et devant nous, l’ennemi cède du terrain avant de rendre l’âme. Seul monsieur Pierre Mathieu, dit La Mort , dit Belles-Manières , est épargné. Don Juan de Tolède lui a fait mettre genou en terre après lui avoir écharpé le bras. Il le tient à sa merci.
— Finissez-en, monsieur, dit-il. Je n’ai pas de remords, même si j’ai quelques regrets. Une douce amie que je laisse après moi, une bien belle femme en vérité… ces enfants et neveux à charge que je ne pourrai plus nourrir ni chérir, sans compter ma sœur, fort souffrante… À tout dire, je ne vais au crime que pour lui payer les soins d’un maître médecin…
— Nous vous faisons grâce, rentrez chez vous, dit Edmond de Villefranche.
— Vous êtes grands seigneurs, messieurs ! répond le brigand. Cette clémence ne sera pas oubliée. Ma vie vous appartient, venez la réclamer quand il vous plaira.
Le brigand reprend son épée, se couvre dignement de son feutre empanaché, nous salue avec déférence, et sans prêter plus d’attention à sa blessure qui trempe sa chemise et rougit cette main qu’il porte à son cœur, il adresse un adieu de sa manière à ses malheureux compagnons :
— Partez devant, messieurs, je ferme la marche.
L’oiseau de mauvais augure pourrait être un oiseau de nuit
Alors que don Juan va ramasser le couvre-chef qu’il lança à terre, Edmond de Villefranche lui tend son propre chapeau.
— Tenez, monsieur, ce chapeau appartenait à feu mon frère. Sa valeur est sentimentale. Pourrez-vous me le rendre demain, après usage, si je puis dire, afin qu’il continue de narguer madame ma cousine du haut de ma tête ? Je serai bien aise de voir la sienne quand elle constatera la supercherie.
— Mille mercis, monsieur, comptez sur moi. J’ai cru entendre que vous logiez tous deux à l’auberge du Soleil d’or , eh bien, je me ferai une joie de passer vous y voir.
Don Juan s’approche des morts. Il les fouille. Ils portent à la ceinture l’avance sonnante et trébuchante que leur commanditaire leur a donnée. L’aventurier n’hésite pas à se servir. Après tout, cet
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