Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
définitive ma petite vengeance. Mon cadeau d’adieu. Ne vous plaignez pas. Je partirai sans connaître l’identité de mon assassin, vous allez vivre et vous allez connaître celle que je n’ai jamais plus osé approcher. Vous allez voir son visage, entendre sa voix, admirer sa beauté, et dans toutes vos traverses, dans le retrait de votre solitude, vous aurez toujours quelqu’un à aimer, un cœur à chérir. Vous ne pourrez, c’est entendu, plus tard, la reconnaître publiquement. Mais je sais qui vous êtes : un homme juste et bon. Vous ne pourrez, disais-je, la reconnaître devant tous, mais vous serez son protecteur. Vous lui trouverez un heureux parti : le cœur haut et la fortune basse, puis vous rendrez justice à ses valeurs personnelles en récompensant la vertu et l’esprit par ce que l’homme socialseul considère. Dotez-le de terre, de richesses, à travers lui, votre fille, notre fille, en sera l’heureuse bénéficiaire.”
Ému, et certainement désemparé, poursuit d’Artagnan, le cardinal quitte cette femme qui désire être seule à présent. Et Son Éminence se retire. Je dois rester quelques secondes encore, prisonnier de ma cachette, engourdi, sans pouvoir émettre un son, ni faire un geste.
Une fois la porte refermée, cette femme, qui est restée de marbre pendant tout l’entretien, se laisse enfin aller aux sanglots. Mais cette libération est de courte durée. Bientôt, à mon grand soulagement, la belle Italienne se ressaisit. Je la devine portant un mouchoir à ses yeux. Elle doit rester un court instant encore, devant sa fenêtre. J’imagine la silhouette du cardinal qui se présente en bas, dans la cour, je l’imagine encore se retourner pour revoir l’image de son amour passé… et j’imagine enfin que c’est à cet instant, quand les regards vont se croiser, que Desdémone, peut-être pour ne pas montrer son émotion, décide de tourner le dos et de quitter cette pièce dans laquelle je n’aurais jamais dû entrer. »
Chapitre trois
La confession entraîne des poursuites
et les poursuites des déductions
La vérité nous instruit
Le jeune roi, lui aussi, a des larmes aux yeux.
— Mon Dieu ! dit-il avec cette tendresse pleine et entière qui n’appartient qu’aux enfants, quelle sombre histoire ! Et dire que tout cela est vrai !
— Ah, la vérité ! dit le chevalier. L’histoire des hommes est le plus grand de nos romans. Un roman écrit à deux mains. Dieu fournit les héros, le Diable les intrigues. La vérité est à la fois plus simple et plus complexe que ce que l’on croit.
D’Artagnan se redresse sur sa chaise. Il sourit, d’un sourire un peu triste.
— En nous poussant à fouiller dans les affaires des autres, à écouter aux portes, à surprendre des confidences, à dénuder le dessous de la nature humaine, le métier d’espion nous oblige le plus souvent à mettre les pieds dans la boue. Mais parfois, contre toute attente, en sondant les ténèbres, on tire de la fange un joyau. Au milieu des noirceurs, des crimes et des intrigues, un cœur se livre, une âme se découvre. Chose étonnante, je vous laisse le soin de méditer ces propos, Sire, il n’est pas rare que les vérités occultes que nous découvrons, en collant nos oreilles à la pierre des murs, nous représentent le portrait en négatif de la personne qui se trahit, sans nous voir, sans nous entendre. Ainsi, plus l’individu est brillant au-dehors, aimable et admirable aux yeux du monde, plusce qu’il dissimule, et n’expose qu’à ses complices, à ses maîtres ou à ses gens, est au contraire vil, monstrueux, sordide. À l’opposé, celui qui n’a pas sa place au milieu des autres, le paria, le brigand, le fou… celui que l’on rejette, celui dont on redoute les foudres ou la contagion, peut révéler un trésor, dans l’obscurité la plus complète et le silence le plus absolu. Et ce trésor qu’il garde égoïstement de crainte qu’on ne le souille, qu’on ne le piétine, qu’on ne le vole… comme l’avare dissimule l’état de ses richesses sous des haillons : c’est son histoire, sa douleur. Cette lumière que l’on aperçoit au fond du puits ne lave pas pour autant le criminel de ses fautes, mais elle l’éclaire sous un nouveau jour. Le visage de ce damné n’est pas si noir qu’on l’eût cru, ce maudit ne nous est plus totalement étranger. En y regardant de plus près, avec les yeux de sa conscience, on voit bien qu’au fond, il nous
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