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Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
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gens, elle me regarda un court instant, despieds à la tête et me dit simplement : Ils vous plaisent ? Je vous les donne . Je ne comprenais pas.
    Si tu veux, tu pourrais en avoir d’autres, autant qu’il te plaira, tu es assez belle et assez jeune pour cela. Mais il faudrait te débarrasser de cette chose, me dit-elle en désignant l’enfant qui bombait mon ventre. Fais-le et reviens me voir. Je te rendrais riche et aimée. Va, maintenant.
    Je partis.
    Je voulus vendre les bijoux, mais on me trompa. On me vola. Je perdis tout. Il fallait recommencer ou renoncer. L’enfant vint à la vie. Il n’avait pas voulu mourir. Quand il prit mon sein, je crus revivre, moi aussi. J’avais bien songé à l’étouffer de mes mains. Mais quand j’entendis ses petits cris, que je vis ses petits yeux, que je sentis ces petites mains se poser contre moi… qui peut faire une chose pareille ? Pourtant, je songeai à cette existence que j’allais lui offrir : le vol, l’errance et je repensai à l’offre de cette femme. Pour la deuxième fois, il fallut sacrifier ce que j’avais de plus précieux. J’abandonnai l’enfant à la porte d’un couvent. Je restai non loin, jusqu’à ce que je fusse certaine qu’on le garderait.
    Après m’être arraché ma propre chair des entrailles pour la donner à des inconnus, comme je m’étais arraché cet amour des fibres de mon cœur, j’étais libre. Libre de commencer une nouvelle existence, et peut-être de prendre une revanche sur la destinée. Mais une revanche amère, la revanche l’est toujours un peu. Cette victoire qui vous enivre laisse un goût âcre sur les lèvres, c’est la lie au fond du calice. Cette fois, je n’avais plus à jouer les voleuses, j’allais saisir ce qui me revenait. Au lieu de franchir un mur, de passer par une fenêtre, je frappai à la porte, sachant bien qu’il n’était plus question, une fois ce seuil franchi pour la deuxième fois, d’espérer revenir en arrière.
    Je fus savamment instruite. Une courtisane doit maîtriser à la perfection – entre autres compétences – l’art de la conversation. Philosophie, histoire, littératures, musiques, mœurs et coutumes étrangères, je pouvais débattre dans tous les domaines, seuls deux sujets nous étaient interdits – à nous les femmes de bonne compagnie –, la politique et la religion.
    Ma maîtresse et moi-même partîmes avec quelques filles pour Florence. J’y devins très demandée. J’obtins un semblant de richesse et un début de pouvoir sur les hommes. Mais un jour,je fis une grave erreur : je retombai amoureuse. Une courtisane peut penser, dans la mesure où cela ne dérange personne, mais l’amour lui est interdit. On ne s’attache pas.

Liaison fatale
    Je m’étais prise de passion pour un poète. Il se nommait Bartholomé. Il était beau et jeune, il avait des cheveux noirs, bouclés. Je lui offris mon argent, mon sang, ma vie, et lui me donna son âme. Le voir faisait mon bonheur, le lire ma fierté, le toucher ma volupté. Il écrivait ses œuvres comme il respirait, comme il pensait, comme l’eau s’écoule : sans s’arrêter. Ou alors il paressait des journées entières. Je lui fis bientôt rencontrer les beaux esprits de la ville. Cela lui ouvrit les yeux sur des réalités qu’il n’avait pas daigné approcher. Il perdit son innocence comme j’avais perdu ma vertu. Après avoir chanté comme Orphée, il jugea comme Dante. Il trempa sa plume dans l’encre rouge. Il se fit pamphlétaire, redresseur de torts. Il dénonça la corruption qui marchandait ses appâts à chaque coin de rue, il donna des noms, il attaqua les laideurs de notre humanité avec autant de flamme qu’il avait peint les beautés de la création. Cela ne plaisait guère. Il fallait le faire taire. Il pouvait cacher sa colère, son esprit et son ironie sous divers noms d’emprunt, on retrouva sa trace. Et Bartholomé fut mis au cachot en attendant la potence. Je crus devenir folle. J’appris bientôt qui l’avait dénoncé, comment les polices remontèrent sa trace. J’avais été trahie par cette femme qui m’avait formée et dont je dépendais. Je lui appartenais. Elle avait beaucoup investi sur moi, et elle commençait à en toucher le bénéfice. Craignant que je lui échappe, que Bartholomé m’enlève, elle prit l’initiative de me faire revenir dans le droit chemin . Pour libérer l’homme que j’aimais, je n’avais qu’une seule chose à faire. Me vendre encore.

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