Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
j’avance un pas de plus. Le visage de cet homme ne me dit rien. Il veut garder l’enfant en otage. Pendant ce temps, le passager du chariot s’est levé. Lui, je crois le reconnaître, mais un doute demeure… le déguisement est trompeur. Je suis contraint de poser l’épée, selon la volonté de ce maraud d’homme qui recule en emportant Bastoche avec lui… Je fais quelques pas de plus pour ne pas le perdre de vue. L’homme recule toujours, s’engage dans une ruelle, il me fait signe de demeurer là où je suis. Quand il se juge à bonne distance, il relâche enfin mon complice.
Je laisse là mon informateur et je tente de rattraper ce mystérieux personnage. Mais en vain, il est trop tard, l’inconnu a disparu.
Le secret de Mazarin vient officiellement rejoindre ceux de d’Artagnan
Je m’approche du jeune garçon. Il va bien. Je suis soulagé. Je peux donc le faire patienter.
— Bastoche, attends-moi ici. Je ne devrais pas en avoir pour trop longtemps.
Désobéissant, le drôle veut se relever. Je dois renouveler mon ordre, avec plus de fermeté dans la voix :
— Ne bouge pas.
Comme je l’escomptais, l’homme de la charrette, celui que l’on a tenté d’assassiner, m’a attendu. Nous avons, en effet, bien des choses à nous dire.
Il a une triste mine.
Il vérifie que nous sommes seuls, qu’aucun passant ne puisse nous rejoindre, puis il ôte ses postiches pour me découvrir son vrai visage, avant de replacer son déguisement. Je ne m’étais pas trompé. Cet homme, en face de moi, c’est bien le cardinal de Mazarin. Cette charrette, va-t-il m’expliquer, cet accoutrement, celui d’un tonnelier, d’un modeste artisan, devait lui permettre de passer inaperçu. Pour plus de précautions encore, il avait rangé son équipage à quelque distance de l’hôtel où il avait rendez-vous, préférant faire le reste du chemin à pied afin d’arriver par l’issue dérobée, un passage secret dont l’Italienne lui avait indiqué l’accès sur ce mot qu’elle lui fit parvenir. Ce même mot que Son Éminence déplia devant moi, dans son cabinet, pour voir sous forme de courtes phrases, et d’une écriture autrefois familière, remonter à la surface tout un passé enfoui : le temps des jours heureux. Nous avons donc maintes choses à nous dire. Pour ce faire, le mieux est encore de prendre la route, de faire un petit tour. L’entretien achevé, je n’aurai qu’à repartir en sens inverse avant de retrouver Bastoche. Bastoche, qui m’attend de son côté, ne l’oublions pas, sans savoir non plus que penser. Mais ce complice, vu les circonstances, ne pourra cette fois tout partager avec moi, je tairai le secret du cardinal.
Je disais que nous avons, Son Éminence et moi-même, des explications à nous donner. En l’occurrence, celui qui doit parler le premier, c’est évidemment moi. Car enfin, monsieur de Mazarin peut marquer la surprise. Certes, je viens de lui sauver la vie, mais cette intervention, si heureuse soit-elle, ne justifie pas pour autant ma présence sur les lieux. Oh, je pourrais simplement dire que je passais là, que je vis un homme armé se jeter devant moi sur un homme qui ne l’était pas, que mon devoir d’honnête homme m’obligea à intervenir, à prendre la défense de la victime, d’empêcher le meurtre… que je fus ensuite abasourdi de découvrir quel illustre visage se cachait derrière la façade trompeuse de ce citadin anonyme… Mais je ne me sens pas le courage de mentir, d’interroger Son Éminence, de lui demander les raisons de son accoutrement. Comme lui, j’ai été trop violemment éprouvé.
Aussi, alors que le cardinal de Mazarin tient les rênes de cette charrette qui doit le conduire à un autre véhicule de sa propriété, véhicule plus adapté à ses véritables fonctions, je brise enfin le silence. Je dis la vérité. Je comptais espionner cette empoisonneuse Desdémone que la Cabale avait recrutée, je voulais au moins découvrir ses appartements, y chercher des indices, des preuves écrites dénonçant des complices, en somme je ne songeais qu’à poursuivre mon enquête en approchant les coupables d’un peu plus près. Une fois sur place, je devais me cacher, si l’on arrivait. Ce que je fis. Le hasard voulut que je me trouve justement dans la pièce où l’entretien hautement confidentiel devait avoir lieu. Une fois que l’Italienne avait commencé à prendre la parole, il était trop tard. Il m’était impossible de
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