Don Juan
d’Ulloa devait prêter aux désirs du roi de France, appui que lui, Amauri, avait conquis, – appui qu’il apportait au roi ! Non, le Commandeur ne pourrait plus peser sur les décisions de Charles-Quint ! Non, Loraydan ne pourrait plus se prévaloir de ce secours puissant et inespéré !…
– Destinée ! grondait-il, destinée maudite, destinée jalouse de ma fortune ! Que faire ? que dire, maintenant ?… Et qui sait, même, si ce roi fourbe ne croira pas que j’ai menti en lui apportant l’appui d’Ulloa ? Quel besoin cet Espagnol avait-il de se faire tuer hier ! Ne pouvait-il attendre à demain, à ce soir !… Non ! Il a fallu… gare ! gare, par l’enfer !
Il y avait des cris, des menaces, des fuites éperdues devant lui. Il arriva au Louvre ayant à peine daigné s’apercevoir qu’il avait renversé deux femmes et un enfant…
XXVIII
LE FIANCÉ DE LÉONOR
Une heure plus tard, une cavalcade traversait Paris, se dirigeant vers le Temple ; c’étaient l’empereur Charles et le roi François, escortés d’une quinzaine de gentilshommes parmi lesquels se trouvait le comte de Loraydan. Le peuple cria « Noël » et applaudit les deux monarques, tout fier et attendri qu’il était de les voir se montrer dans les rues en aussi simple appareil. Peut-être Paris sut-il plus de gré au roi et à l’empereur de cette promenade sans apparat que de la pompe et de la magnificence du cortège de la veille. Ainsi, parfois, le hasard sert des grands de la terre, et leur octroie, sans qu’ils l’aient cherchée, cette popularité après laquelle, d’une course éperdue, ils s’élancent.
Cette cavalcade, disons-nous, s’arrêta devant l’hôtel d’Arronces dans lequel Charles-Quint, François I er et Loraydan pénétrèrent seuls. Loraydan courait en avant pour prévenir les gens de l’hôtel, il y eut une rumeur, de rapides allées et venues, et les serviteurs, en double haie, vinrent se ranger sur les marches du perron.
Comme les deux sires arrivaient au pied de ce perron Léonor apparut.
Elle était vêtue de deuil, c’est-à-dire de blanc et noir, couverte du voile des orphelines ; elle était bien pâle de la terrible nuit qu’elle venait de passer, et ses yeux disaient combien elle avait pleuré. Comme elle était touchante, et si jolie, et si gracieuse en sa digne attitude de douleur contenue, de noblesse naturelle, de respectueuse déférence pour de tels visiteurs !…
François I er ne put retenir un léger cri d’admiration.
Quant à Charles-Quint, il monta rapidement les degrés, saisit dans ses bras la fille du Commandeur au moment où elle s’inclinait, et l’embrassant paternellement :
– La douleur, dit-il avec une réelle émotion, la douleur est aussi forte pour moi que pour vous. Léonor d’Ulloa, vous perdez un père qui vous aimait tendrement. Je perds un ami fidèle, le plus ferme soutien de l’Empire, le plus brave sur les champs de bataille, le plus avisé dans les ambassades, le plus loyal, le plus sincère dans le conseil, et pour tout dire, presque un frère.
Ces hautes marques de la faveur impériale, Léonor les reçut avec une charmante dignité. « Sembla una reyna hermosa » , avaient dit ses serviteurs dans le vieux palais de la Commanderie, à Séville. Et il semblait vraiment que ce fût une reine accueillant l’hommage impérial pour la mémoire de son père, beaucoup plus que pour elle-même. Elle était reine selon le sens gracieux et noble que l’imagination populaire, souvent plus généreuse que la réalité, accorde à ce mot. Elle était reine par la sincérité de sa douleur, la pureté de son âme, la splendeur de sa beauté, la lucidité de son intelligence.
François I er , à son tour, avec plus de galanterie peut-être que de sincérité, mais du moins avec toute la galanterie d’un Valois, s’inclinait devant elle, baisait sa main, et disait :
– Je n’ose, madame, comparer mon chagrin à celui de Sa Majesté l’empereur. Mais dans le Commandeur d’Ulloa, je puis dire que le roi de France perd un brave et loyal ami…
– Je veux le voir ! dit brusquement Charles-Quint.
– Sire, dit Léonor courbée, la maison de mon père vous est ouverte…
Et elle entra la première, de son pas ferme et harmonieux, guidant ses hôtes sans nulle ostentation de respect ou de douleur, mais avec une sorte d’instinctive majesté.
Elle entra dans la salle d’honneur…
Et le seul geste de sujette qu’elle
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