Don Juan
la main, il entraîna Loraydan ébloui, enivré d’orgueil et d’espoir. Avoir été présenté à l’empereur par Ulloa, c’était un simple événement, plus ou moins heureux, selon qu’il saurait en user. Être présenté par le roi en personne, c’était la reconnaissance officielle d’une haute situation à la cour de France.
Charles-Quint vit venir à lui François I er et Amauri de Loraydan. Il eut un de ces sourires pâles qui, parfois, donnaient à sa physionomie glacée une fugitive lueur indéfinissable – la lueur louche qu’on voit à la hache sur laquelle tombe un faux jour.
– Oui, oui, pensa l’empereur. Je vois. Je sais. Voici l’envoyé de mon bon frère François. Voici le digne sacripant qui n’a cessé d’évoluer autour de mon brave Ulloa… Il faut que je m’attache cet homme… Attention ! Il va être question du Milanais !
– Mon cher sire et frère, dit François I er , voici mon meilleur serviteur qui sera aussi un bon serviteur de Votre Majesté, voici le comte Amauri, de l’illustre lignée des Loraydan. Je serais heureux qu’une part de votre impériale bienveillance revint à ce digne gentilhomme…
– Je connais M. de Loraydan, dit Charles-Quint. Je le connais et l’apprécie à sa valeur. Je l’ai vu à l’œuvre sur la route de Poitiers à Paris, comme, sur les champs de bataille, j’avais vu son père à sa rude besogne. Vous me plaisez, comte. J’ai plaisir à vous répéter que ma bienveillance vous est acquise.
Loraydan mit un genou à terre, et de la même voix émue, contenue, révélatrice d’un dévouement sans borne :
– Dieu protège l’empereur !… Dieu protège le roi !…
Et tout à coup, tandis que Loraydan se relevait, Charles-Quint, dardant sur François I er la pâle clarté bleuâtre de son regard :
– Mon cher sire et frère, dit-il froidement, ne pensez-vous pas qu’il serait bon, en ce conseil que nous tenons, de nous adjoindre chacun un conseiller sûr et avisé, digne de toute notre confiance ? Ce serait pour vous le comte de Loraydan, qui me semble au fait. Pour moi, je prendrais mon cher et brave Ulloa. Qu’en pensez-vous, mon digne frère ?
– Sire, dit François I er en s’efforçant de cacher sa joie, j’allais faire la même proposition à Votre Majesté. – Il est venu ! songea-t-il avec un soupir de furieuse allégresse. Je te tiens, Charles ! Je tiens le Milanais !…
– Oui, se disait l’empereur, réjouis-toi, mon bon François ! Tu viens de toi-même à mon piège ! Ris, va, ris de bon cœur. Rira bien qui rira le dernier. – Puisque nous sommes d’accord, dit-il, nous pourrions, séance tenante, mander Ulloa près de nous. Et il me semble que l’envoyé chargé d’appeler le Commandeur doit être, tout naturellement, M. de Loraydan. Nos deux conseillers pourront ainsi se concerter une dernière fois, en venant au Louvre…
Charles-Quint prononça ces derniers mots de sa voix dure et métallique, et d’un ton tel que François I er tressaillit d’une sourde et soudaine inquiétude. Mais l’empereur acheva :
– Se concerter au mieux des intérêts de la France et de l’Empire qui doivent désormais s’unir et travailler à réparer leurs dissensions passées. Ah ! mon frère, ajouta Charles avec expansion, si vous le vouliez, étroitement alliés, à nous deux, nous serions maîtres du monde !
– Mon frère, dit François I er , s’il ne tient qu’à moi, la paix est assurée entre nous. Quant à une alliance, elle répondrait au vœu le plus cher de mon cœur. Comme vous, j’ai souvent pensé que le monde changerait d’aspect si nos deux épées, de loyales adversaires qu’elles ont été, devenaient jamais amies et s’engageaient à une commune besogne. Si cela vous plaît, ce sont les bases mêmes de cette alliance que nous pouvons dès ce jour examiner de concert. Va donc, mon cher Loraydan, va et reviens au plus vite avec ce digne Commandeur à qui toute ma bienveillance est acquise puisqu’il a la confiance de l’empereur.
Charles-Quint s’inclina en signe de remerciement.
– Sire, dit Loraydan, où trouverai-je M. le Commandeur ?
– À l’hôtel d’Arronces, dit François I er .
Loraydan tressaillit. Il savait pourtant que le roi avait donné l’hôtel d’Arronces au Commandeur, mais ce nom résonnait toujours en lui parce qu’il évoquait aussitôt le logis Turquand.
– Oui, ajouta Charles-Quint, à l’hôtel d’Arronces que
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