Don Juan
Charles-Quint prononça :
– Mais… est-ce que le comte de Loraydan ne va pas épouser une Espagnole ?…
François I er s’arrêta court… François I er revint sur Charles-Quint, et, d’une voix altérée :
– Que veut dire Votre Majesté ?…
– Je veux dire, mon cher frère et sire, que cet excellent gentilhomme est aujourd’hui exclusivement Français et qu’à bon droit, vous l’avouerez, je puis suspecter sa parfaite impartialité. Je veux dire que lorsqu’il aura épousé Léonor d’Ulloa, la moitié de son cœur au moins sera espagnol.
« Tu veux dire la moitié de ses intérêts », songea le roi.
– Je pourrai alors tenir son avis pour digne de toute ma confiance, continua paisiblement l’empereur. Sire, voulez-vous que, d’un commun accord, nous remettions toute décision concernant le Milanais au lendemain du mariage de Loraydan, bon Français, avec Léonor d’Ulloa, excellente Espagnole ?
François I er ne put s’empêcher d’éclater de rire.
« Bon ! pensa Charles-Quint, dont le visage se détendit, l’arquebuse ne portera pas : la mèche est mouillée ! »
En effet, déjà le roi de France oubliait cet ordre d’arrestation que l’instant d’avant il avait été tout près de jeter à son capitaine des gardes. François I er , en lui-même, admira quel parti la subtile astuce de Charles-Quint tirait d’un simple projet d’union entre un Français et une Espagnole. Et il admira aussi que Loraydan fût ainsi devenu soudain l’arbitre des destinées d’un royaume et d’un empire.
« Si ce brave Amauri était là, songea-t-il, quel orgueil pour lui ! » Charles-Quint, à ce moment, s’approchait de François I er , et dans un mouvement d’expansion et d’abandon, qui semblait chez lui le comble de l’émotion et qui n’était que le comble de la fourberie, d’une voix grave, il prononça :
– Sire, vous passez dans le monde pour le monarque le plus loyal qui existe. On a pu vous faire bien des reproches. On a pu compter vos fautes de politique ou de guerrier. Nul n’a jamais refusé de voir en vous le roi chevaleresque par excellence. Dans notre époque, où se déchaînent les appétits où la foi jurée est si souvent oubliée, où les traités se déchirent, où la ruse et la violence dominent en maîtresses, vous êtes le dernier représentant de l’antique chevalerie. Sire, vous êtes le dernier roi chevalier !…
François I er , tout pâle encore et les sourcils froncés, écoutait avec défiance cet éloge qui, pourtant, peu à peu, l’apaisait et dilatait son cœur, car rien n’est plus agréable à l’homme que de s’entendre décerner la qualité à laquelle, précisément, il aspire dans le secret de sa pensée.
– Aussi, continuait Charles-Quint, lorsque je vous ai vu vous diriger vers cette porte, derrière laquelle veillent vos gardes, étais-je bien tranquille, sire ! Eussiez-vous même donné l’ordre de faire de votre hôte un prisonnier de guerre, ma confiance ne m’eût pas abandonné. J’étais trop certain que cet ordre, vous l’eussiez révoqué aussitôt. Mais songez, sire, songez à ce que, de vous, on eût pensé dans votre propre royaume, dans votre cœur, si l’imprudente parole vous eût échappé !
« En vain, continuait Charles-Quint l’instant d’après, j’en suis sûr, eussiez-vous déclaré que j’étais libre ! Vous n’en eussiez pas moins vu la honte et l’indignation des gentilshommes qui m’eussent arrêté dans le palais où je suis venu accepter votre hospitalité. C’eût été une tache ineffaçable à votre réputation de loyauté jusqu’ici pure de tout soupçon ! Notre-Dame en soit louée, je n’aurai pas à vous défendre du reproche de trahison !
Ces derniers mots constituaient un admirable mouvement tournant.
Charles-Quint se posait en suprême arbitre de la loyauté !… en défenseur de la réputation de son ennemi ! François I er n’avait plus qu’à se confondre en remerciements ; il en était réduit à rougir d’avoir eu seulement la pensée de l’arrestation ! Hâtons-nous d’ajouter que le roi ne sentit nullement le rouge monter à son front. Mais il ne demeura pas insensible aux adroites paroles de l’empereur qui, le voyant à peu près désarmé, s’empressa de lui porter le dernier coup :
– Mon cher sire, s’écria-t-il, tranchons une bonne fois cette sotte et irritante question du Milanais ! Le beau duché, par ma foi ! Et
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