Don Juan
prévôté :
– Le seigneur Jacquemin de Corentin ? C’est moi, que voulez-vous ?
– C’est vous ? Bon. Au nom du roi, je vous arrête. Gardes, saisissez-le !…
Cet ordre fut exécuté à l’instant. Jacquemin livide, Jacquemin soudain dégrisé s’écria :
– Vous m’arrêtez ? Qu’ai-je fait ? De quoi m’accuse-t-on ?…
Et Jacquemin Corentin qui jamais de sa vie n’avait été marié, Jacquemin Corentin qui était la timidité incarnée auprès des femmes, qui était l’innocence même, la vertu en personne, Jacquemin Corentin demeura pétrifié, assommé, foudroyé… car le sergent de la prévôté lui répondait :
– Sire Jacquemin de Corentin, vous êtes accusé de polygamie !…
L’instant d’après, le pauvre Corentin était entraîné, à demi mort de stupeur plus encore que d’épouvante. Une demi-heure plus tard il entendait se refermer sur lui la lourde porte de l’un des cachots du Châtelet…
XXXIV
LE ROI S’AMUSE
Les quatre personnages que don Juan avait suivis jusqu’au détour du chemin de la Corderie étaient, comme il l’avait constaté, entrés dans l’hôtel Loraydan.
C’étaient le roi de France, deux jeunes seigneurs compagnons – et serviteurs – de ses plaisirs, messieurs d’Essé et de Sansac ; et enfin, le comte Amauri de Loraydan.
C’était la première fois que le comte revenait chez lui depuis le moment où il avait enfermé Clother de Ponthus dans une salle où il voulait le laisser mourir de faim.
Ce ne fut pas sans sentir une sueur froide à la racine de ses cheveux qu’Amauri de Loraydan pénétra dans la cour de l’hôtel. Il s’empressa fébrilement, ouvrit la porte de la salle d’honneur en disant avec volubilité :
– Je supplie humblement Votre Majesté de me pardonner. Rien n’est prêt pour la recevoir dignement…
– Ho ! s’amusa François I er goguenard, avec une fortune de deux millions de livres, un honnête sujet doit toujours être prêt à recevoir dignement son roi…
Et déjà Loraydan se courbait, tout pâle, épouvanté par ces mots qui présageaient une disgrâce et surtout par le sourire cruel du roi ; et déjà, disons-nous, ses deux bons amis, Sansac, Essé, prudemment se reculaient, s’écartaient du pestiféré.
– Allons, c’est bien ! continua François I er dans un éclat de rire, tu trouveras bien dans tes caves un flacon de vin d’Espagne que ta valetaille aura oublié… en ma faveur !
– Sire ! bégaya Loraydan, ivre de terreur.
Sa valetaille !… L’unique Brisard la représentait tant bien mal. Ses caves ! elles étaient à sec depuis bien longtemps, aussi, les gobelets d’or, les coupes en cristal de Venise qu’il tenait de son père avaient pris le chemin des prêteurs sur gages. Loraydan se maudit de n’avoir pas prévu que, peut-être, le roi voudrait s’arrêter chez lui. Avec l’argent de Turquand, il eût pu, certes, tout disposer de telle sorte que cette visite tournât à son honneur.
– Où vais-je prendre un flacon de vin d’Espagne ? se bégaya-t-il en s’inclinant.
En même temps, ouvrant la porte de la salle d’honneur :
– Sire, dit-il, je ferai de mon mieux. Que Votre Majesté daigne entrer.
Nous disons qu’en prononçant ces mots, plus mort que vif, il ouvrait la porte, – et au moment où le roi entrait, suivi d’Essé et Sansac, Amauri de Loraydan demeura interdit, frappé de stupeur :
La salle d’honneur était brillamment éclairée !…
Par qui ? Pourquoi ? Comment ! D’où venaient ces vingt ou trente flambeaux de belle cire blanche qu’il voyait aux candélabres d’argent ? Loraydan, vaguement, se posa ces questions, se demandant s’il n’était pas le jouet d’un rêve.
Presque aussitôt, un soupir d’angoisse gonfla sa poitrine… le roi, rapidement, s’était avancé vers le milieu de la table, et, joyeusement, s’écriait :
– Ah ! Loraydan, Loraydan, que diable nous disais-tu ? Sur ma foi, voilà une table qui est faite pour tenter même un ermite. Tu veux nous induire en péché de gourmandise.
Loraydan jeta un regard timide et effaré sur la table que désignait le roi, et l’étonnement le fit frissonner… le rêve continuait… plus surprenant, plus magnifique, le rêve se développait…
La table recouverte d’un drap éblouissant tout festonné, tout bordé de dentelle – une de ces nappes comme on n’en voyait que chez les plus fastueux d’entre les princes – la table
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