Don Juan
vers Clother de Ponthus. Don Juan s’assombrit et frissonna… la jalousie venait de le mordre.
Clother baissa son épée.
– Monsieur, dit Léonor, vous allez vous battre pour moi que vous ne connaissez pas. Il est juste que vous sachiez au moins qui je suis. On me nomme Léonor et je suis la fille de don Sanche d’Ulloa, noble espagnol, Commandeur de Séville et Andalousie.
Ponthus tressaillit et une pâleur s’étendit sur son visage. Ce fut avec une sorte d’attendrissement qu’il s’inclina devant Léonor.
– Madame, dit-il, je me suis déjà arrêté dans cette triste maison, un soir… le soir du I er décembre, il y a de cela dix-huit jours. J’y fus assailli par deux malandrins et l’un d’eux me porta à la poitrine un coup de dague qui m’abattit mourant. Un homme passait sur la route. Il entendit ma plainte. Il entra, me soigna, me fit transporter au proche village où je suis resté douze jours couché dans une maison hospitalière. Je n’en suis sorti que ce matin, à peu près guéri, et avant de regagner Paris, j’ai eu le désir de revoir mon castel de Ponthus. Désir ?… Pressentiment, sans doute. Car pourquoi me suis-je arrêté ici ? Qui sait si quelque volonté supérieure ne m’a pas conduit là où je devais aller pour mettre mon bras au service de la fille du Commandeur d’Ulloa, mon sauveur ?…
– Votre sauveur ? interrogea Léonor étonnée.
– Oui, madame, les bonnes gens qui ont consenti à me soigner m’ont répété le nom de l’homme généreux à qui je dois la vie : c’était don Sanche d’Ulloa, Commandeur de Séville. En tirant l’épée pour Léonor d’Ulloa, ce n’est donc plus un devoir que je remplis, c’est un droit que j’exerce… le droit que j’ai d’offrir mon sang au Commandeur d’Ulloa et à tous ceux qui lui sont chers.
– Faites donc, monsieur, dit Léonor avec une émotion contenue.
Juan Tenorio avait écouté cette explication avec une sombre impatience.
– Voilà qui est fort galant, fit-il d’une voix altérée. Je pourrai fournir ce beau sujet à l’un de ces faiseurs de comédies qui infestent la noble Espagne : le brave Commandeur sauve des damnés malandrins le digne gentilhomme français qui, à son tour, sauve la fille du Commandeur et l’arrache au damné Tenorio !
– Défendez-vous, monsieur ! dit Ponthus.
– Vous avez raison ! s’écria don Juan dans une explosion de douleur. Je viens de prononcer des paroles indignes de moi. Mais c’est qu’aussi j’ai la tête perdue et mon cœur se brise. Ah ! Léonor, Léonor cruelle ! Puisse l’épée de ce brave gentilhomme traverser ce cœur qui souffre tant ! Puissé-je expirer à vos pieds ! Mourir sous vos yeux, Léonor, ce sera le dernier délice de ma triste vie !…
Malgré ces paroles qui annonçaient presque une intention de se laisser tuer, ce fut avec beaucoup de méthode et de sang-froid que Tenorio attaqua Clother de Ponthus.
Quelques instants suffirent aux deux adversaires pour se reconnaître d’égale force et s’apprécier à leur valeur. Tous deux possédaient ce jeu sobre, fin, serré, qui distingue les maîtres. Tous deux avaient même courage. Par-dessus tout, ils possédaient au même degré la qualité essentielle de l’escrime : le sang-froid qui permet la sûreté du coup d’œil, la promptitude de la riposte, la logique de l’attaque.
Léonor s’était écartée.
Bravement, elle regardait ce duel qui se jouait en son honneur.
Et ce fut une brillante, une étincelante passe d’armes qui, en plusieurs reprises, dura vingt longues minutes au bout desquelles Clother de Ponthus se mit à attaquer par une série vertigineuse de coups droits poussés à fond que Tenorio n’arrivait à éviter qu’en rompant… Ponthus attaquait et marchait… Juan Tenorio rompait… bientôt il se trouva acculé à un angle de la salle.
– Monsieur, dit Clother, voulez-vous sortir ?
– Vous êtes fou, dit don Juan qui râlait de honte et de rage.
En même temps, d’un bond furieux, il se jeta hors de l’angle où il se trouvait pris, et retomba en garde en éclatant de rire… à la même seconde, il vit sa main rouge de sang, ses doigts se détendirent, sa rapière lui échappa… il eut un cri de douleur : la douleur d’avoir été vaincu devant Léonor.
– Je crois que vous êtes hors de combat, dit Clother. Je vous ai maladroitement blessé à la main, alors que mon coup devait vous tuer… veuillez m’en
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