Don Juan
excuser.
– Nous nous reverrons, n’est-ce pas ? dit don Juan.
– Ce me sera toujours un honneur de me mesurer avec un aussi rude jouteur. Donc, où et quand vous voudrez, monsieur, je suis à votre disposition. Je vais à Paris, mais s’il vous plaît de me désigner un autre endroit…
– Paris me convient. Mais Paris est grand…
– Je loge rue Saint-Denis, en face l’auberge de la Devinière que tout le monde vous indiquera.
– Ciel ! dit une voix. C’est un compatriote ! Comme moi, un habitant de la rue Saint-Denis !
Et Jacquemin entra dans la salle, s’avança vers Clother.
– Moi aussi, monsieur je suis de la rue Saint-Denis ! Moi aussi je suis de la Devinière !
En même temps, le digne serviteur se mit à panser et à bander activement la blessure de son maître.
– Ah ! monsieur, disait-il, si j’avais pu deviner que ce gentilhomme était de la rue Saint-Denis, je vous eusse prié de renoncer à ce duel. Vous vous êtes heurté à un vrai Parisien… c’est toujours dangereux !
Juan Tenorio ne répondit pas. Il n’avait même pas entendu, sans doute. Il éprouvait, pour la première fois de sa vie, les terribles affres de l’humiliation. Vaincu ! Il était vaincu ! Devant une femme ! Devant Léonor !… Il souhaitait d’être mort, et il se sentait mourir. Mais au fond de lui-même s’élevait l’impétueux désir de vivre ; vivre encore, aimer, se faire aimer, et cette fois, bientôt peut-être, obtenir quelque éclatante revanche.
Son regard errant évitait de se poser sur Léonor, et finit par se fixer sur un homme qui, debout près de la cheminée, considérait Clother de Ponthus avec une sorte d’effroi.
C’était Bel-Argent…
– Approche ! lui cria-t-il.
Bel-Argent obéit, mais sans cesser d’examiner Ponthus.
– Tu es payé ? fit Juan Tenorio.
– Certes ! répondit Jacquemin. J’ai payé ce drôle en beaux écus, alors qu’il n’eût mérité que soufflets et coups de pied pour la besogne qu’il a consentie. Ah ! monsieur, que ceci vous serve de leçon au moins !
– Puisque tu es payé, dit don Juan, disparais ! Va-t’en !…
Bel-Argent fit la révérence, et, se dirigeant sur Clother de Ponthus, s’inclina profondément.
– Seigneur de Ponthus, dit-il, je suis l’un de ces deux vilains drôles qui vous attaquèrent ici même, voici près de vingt jours, un soir que vous étiez assis près de cette table…
– Je te reconnais, fit Clother, que veux-tu ?
– Vous dire que je n’ai pas frappé, moi ! En rase campagne, oui ! Par traîtrise, jamais. C’est Poterne, monsieur, c’est Jean Poterne qui a porté ce coup qui devait vous tuer et dont vous êtes revenu, par ma foi ! Il faut que vous ayez l’âme chevillée au corps.
– Et qu’est-il devenu, ton misérable compagnon ?
– Il est mort, monsieur. Ce noble Espagnol que voici l’a proprement occis d’un coup de pointe.
– C’est bon. Tu peux t’en aller.
– Non, monsieur. Car j’ai autre chose à vous dire. En essayant de vous envoyer dans l’autre monde, Jean Poterne faisait son devoir d’honnête homme…
– D’honnête sacripant, veux-tu dire. Son devoir ! Quel devoir ?
– Dame, il avait été payé pour vous meurtrir !
– Et par qui ? fit Clother en tressaillant d’étonnement, car il n’entrait pas dans sa pensée qu’il eût un ennemi capable de vouloir sa mort, et que cet ennemi fût assez vil pour employer un aussi lâche détour…
– Par qui ? reprit Bel-Argent. Je vous le dirai, seigneur le Ponthus, je vous le dirai…
Bel-Argent se jeta à genoux et continua :
– Seigneur, ayez pitié de moi. Je vis une vie qui ne me convient guère. Guetter le voyageur au tournant du chemin, envoyer une balle d’arquebuse ou décocher un trait à un inconnu qui ne m’a rien fait, cela m’a toujours causé une espèce d’horreur que maintenant je ne puis plus surmonter. Seigneur de Ponthus, je ne puis plus ! Maintenant que Poterne est mort, je suis libre. Il me domptait, seigneur, il me battait. Libre, je veux être un homme comme tous les hommes, et les jours où je n’aurai pas de pain à manger, au moins ce pain ne me semblera-t-il pas amer et mouillé de sang…
Corentin pencha sur Bel-Argent son long corps d’échassier et, goguenard :
– Comment le pain que tu n’auras pas à manger pourra-t-il te sembler amer et désagréable ?
– Il suffit, fit Bel-Argent. Ce noble seigneur me comprend.
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